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ETUDE SUR MEDEE cxv

'irecque. Après la catastrophe, il s'écriera encore : « Non, jamais une femme grecque n'aurait eu cette audace. »

C'est donc avec aisance qu'il justifie sa conduite, inspirée par l'intérêt même de Médée et de ses enfants. Ou'a-t-il voulu? -Mettre leur existence à l'abri du besoin, leur donner des rois pour protecteurs et pour frères. Et Médée l'accuse ! Quelle inf^ratitude! Au sein du bonheur elle se juge malheureuse. Voilà ])ien les femmes! 11 continue ainsi, avec un cynisme jamais démenti, un plaidoyer qui se tourne bientôt en réquisitoire : « C'est toi qui l'as voulu, ne t'en prends à personne qu'à toi. » En vérité, Médée a trop facilement le beau rôle, lorsqu'en face de cet impassible ergoteur elle se dresse, frémissante, lors- qu'elle refuse de rien accepter de lui, lorsqu'elle se dit que tant de lâcheté ne saurait demeurer impunie. Dès lors, elle est toute à sa vengeance, et les événenn'nts se précipitent.

Il semble même qu'en un pareil sujet le dénouement doive être prompt : Médée n'est-elle pas magicienne? Ne lui suffit-il pas de vouloir pour anéantir ses ennemis? Mais le poète grec, avant tout préoccupé de peindre une âme orageuse, voit et nous fait voir en Médée la femme, beaucoup plutôt que la magicienne. Si Médée était toute-puissante et se servait aussitôt de sa toute- puissance, il n'y aurait plus en son cœur de combat entre les sentiments opposés, entre le désir de la vengeance et la tendresse maternelle, entre l'amour qu'elle ne peut s'empêcher de garder à Jason et la fureur que lui inspire sa trahison ; par suite, il n'y aurait plus de drame. Déjà, elle s'est demandé comment elle pourrait punir le traître, et ses hésitations nous ont bien fait voir qu'elle ne se croyait pas à l'abri de tous les périls humains. Irait-elle, en effet, frapper les deux nouveaux époux jusqu'en leur chambre nuptiale? mais elle serait bientôt saisie. Essayerait- elle de les faire périr par le poison? Mais où trouver ensuite un refuge? Elle se résout donc à ne recourir qu'à la ruse. Par bon- heur, un allié inespéré lui arrive : c'est le vieux roi d'Athènes, yEgée, qui, désolé de la stérilité de son mariage, est venu con- sulter l'oracle d'Apollon. Médée lui promet un fils, mais exige, en échange de cette assurance, le serment solennel qu'il ouvrira ses États à la fugitive et l'y protégera contre tous. Alors, mais alors seulement, elle agit, trompe Jason par sa feinte soumis- sion, et envoie ses enfants eux-mêmes porter à sa rivale, sous prétexte de l'apaiser en leur faveur, un voile de fin tissu et une couronne, qui s'attacheront à elle et la dévoreront d'une flamme mystérieuse.

Le chœur ne s'y trompe pas, et perd toute espérance de voir épargner les pauvres enfants : « Les voilà sur le chemin de la mort. » Ils reviennent pourtant, ils sourient à leur mère, qui les

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