Page:Corneille Théâtre Hémon tome1.djvu/151

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qui ne méritent pas leur malheur, et les seuls aussi qui soient réduits au rôle de personnages muets. Sans doute il est toujours difficile de faire parler des enfants au théâtre ; en une telle situation surtout, il est dangereux de nous les trop montrer, de peur qu’ils n’éveillent en nous une sympathie trop vive, que nous ne nous attendrissions trop sur leur sort, et que le dénouement dont ils sont victimes ne nous rende leur mère trop odieuse. Mais aussi ne faut-il pas, si l’on veut que ce dénouement ne soit pas trop en dehors de la nature, avant de nous montrer la mère furieuse, nous montrer la mère aimante, qui tue pour se venger, mais tue en pleurant ? La Médée de Corneille n’est pas assez mère.

Qu’est-ce donc enfin que Médée ? Un brillant exercice tragique avant la tragédie vraie. De beaux cris ne font pas un caractère, de belles scènes ne font pas un drame. Au reste, c’est Corneille lui-même qui nous a donné le droit d’être sévères ; mais, pour ne pas être injuste, il faut se garder de comparer cet essai à ses chefs-d’œuvre. Il faut tenir compte aussi des difficultés presque insurmontables qu’offrait ce sujet légendaire, dont le fond ingrat devait être respecté. Peu de sujets sont plus dramatiques en apparence ; peu offrent, en réalité, moins de ressources, précisément parce que le drame est tout fait d’avance, et que les principales ligues s’en imposent. On a des Médée de Longepierre (1694), de Clément (1779), d’Hoffmann (1797), d’Hippolyte Lucas (1855). Aucune n’a effacé tout à fait le souvenir de la tragédie cornélienne, pas même celle de Longepierre, longtemps renommée, bien qu’elle imite le drame de Corneille aux moins bons endroits. Seul, de nos jours, M. Legouvé a réussi dans cette entreprise : sa Médée, représentée eu 1856, ne doit pas seulement son succès durable au talent de Mme Ristori ; une heureuse opposition des deux rivales (qui ne se rencontrent même pas chez Corneille) replace sous son vrai jour ce qui est l’essentiel du drame, la peinture des sentiments humains, précise et rajeunit la figure trop effacée de Creuse, sans affaiblir en rien la physionomie de Médée, cette mère chez qui l’amour maternel même a quelque chose de terrible :

Souvent je leur fais peur même en les embrassant.