Page:Corneille Théâtre Hémon tome1.djvu/152

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
IV
LA TOISON D’OR.

Peut-être Corneille a-t-il eu simplement tort de donner l,i forme du drame- à une fable dramatique qu’à l’exemple de Sénèque il traitait comme une féerie. Son frère Thomas n’aura point de peine à transformer plus tard Médée eu opéra (1693, musique de Charpentier), ni, longtemps après, Cherubiui à mettre en musique le même drame lyrique, repris par Hoffmann. Lui-même, vingt-cinq ans après, eu 1660, revenant à cette histoire merveilleuse qui l’avait séduit tout d’abord, il écrivait la Toison d’or, pièce à grand spectacle, dont Médée est encore rhéroïne. Seulement, la Médée de la Toison n’est pas l’épouse trahie de Jason, la mère dénaturée; c’est la fille d’Aète, passionnée déjà, mais non pas encore criminelle. Apollonius de Rhodes et Valerius Flaccus, dans leurs Argonautiques, avaient chanté les amours de Médée et de Jason, et, dans son Examen, Corneille avoue qu’il doit beaucoup au poète latin.

Mais il s’agit ici d’une féerie pure, d’où tout spectacle sanglant doit être écarté. C’est pourquoi le frère de Médée, Absyrte, dont le meurtre, dans la tragédie de 1633, nous est raconté par sa sœur elle-même, non seulement est épargné ici par elle, mais nous est présenté comme un magicien d’un pouvoir égal. » C’est me contredire moi-même en quelque sorte, » écrit Corneille dans le même Examen. La contradiction est flagrante, en effet, mais de peu d’importance, car elle ne porte que sur un détail; elle serait plus grave, s’il y avait désaccord absolu entre les caractères. Mais la comparaison n’est point si aisée : de l63a à 1660. en effet, tout a changé, et les situations, et le ton, et jusqu’au mètre : écrite en vers libres, plus légers que le vers tragique, la Toison d’or nous offre moins de caractères que de tableaux, d’analyses morales que de machines. Et pourtant, de même qu’il y a une part de féerie dans Médée, il y a dans la Toison d’or tous les éléments d’une tragédie émouvante. Seulement, le poète n’a pas pris la peine de les eu dégager : satisfait de captiver l’imagination et d’éblouir les yeux, il a dédaigné de parler à l’espiit et de toucher le cœur. Mais il a beau faire, les décors ne nous cachent pas entièrement le drame, et le drame, cette fois encore, est dans le cœur de Médée.