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10 LE CID

chasser, et pour me faire plus de peine, il e lance dans mon colombier. Avec le sang de mes colombes il a ensanglanté mes jupes. Je le lui ai envoyé dire ; il m'a envoyé menacer qu'il me coupeiait les pans de ma robe. » Au reste, le? sentiments de Chimène elle-même ne sont guère plus raffinés. Si, api'ès quatre démarches restées inutiles, au grand étonnement du roi, elle demande pour mari celui dont elle poursuivait la mort, c'est pour des raisons très pratiques : « Je me tiendrai pour bien mariée et pour très honorée, car je suis certaine que son bien ira toujours crois- sant ». Jusque-là, elle n'a cessé d'invectiver Rodrigue, absent ou présent, de rappeler assez durement au roi ses devoirs, de réclamer contre l'injuste protection dont il couvre le meurtrier.

Seulement, le ton change dès que le mariage est décidé. Rodrigue est tout ému {todo lurbado) en regardant sa fiancée. Le langage qu'il lui tient, sans être encore d'une irrépro- chable délicatesse, est simple et digne : « J'ai tué ton père, Chimène, mais je ne l'ai pas déshonoré; je l'ai tué dans un combat d'homme à homme, pour venger une msulle cer- taine. Si j'ai tué un homme, je te donne un autre homme à sa place ; à la place d'un père mort, tu auras en moi un mari honoré. » Il est probable que les chansons vraiment antiques s'arrêtent au mariage du Cid ; rar d'autres nous montrent, dans le Cid apaisé, le mari et le père idéal. Il ne croit pas pouvoir mieux louer ses fllles qu'en disant : « Pour mère elles ont eu doha Chimène; d'une telle mère, quels enseignements peuvent venir? Est-il beaucoup de femmes d'une vie pareille ? >■> Mourant, il prie sa femme de sécher ses larmes : elles pourraient apprendre aux Arabes que le Cid est mort, mettre en péril'la vie de Chimène, et Rodrigue, au fond de sa tombe, en souffrirait cruellement. S'éloigne- t-elle? il adresse ses adieux à ses compagnons d'armes, qui pleurent autour de son lit funèbre. Revient-elle vers lui? il se tait aussitôt, et tous effacent la trace de leurs larmes Elle est universellement aimée et respectée; elle méritt l'affection comme l'estime : tantôt mélancolique et tendre, lorsque, attristée de trop fréquentes séparations, elle envie h sort tranquille des paysannes, heureuses de vivre près de celui qu'elles aiment, tantôt, et plus souvent, énergique, résolue, presque virile, soit qu'elle excite Rodrigue à vengei l'affront fait à ses filles et regrette de ne pouvoir le vengei elle-même, soit que, fidèle aux dernières volontés du héros, et contenant sa douleur, elle impose aux siens un stoiquo silence.

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