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n LE CID

prit et ses emphatiques redondances. Battus à la frontière, chassés de Corbie cette année-là même, les Espagnols pre- naient leur revanche dans la littérature : toute une armée de mots espagnols faisait invasion dans la langue française. Un amant, c'était un galan; un jeune homme à la mode, un cavalier, eahallero; un vieillard s'appelait un barbon. Le cos- tume même, les bottes en entonnoir débordant de dentelles, a fraise, les canons, les collets à grandes marges, les galans de soie et d'or, tout cela venait d'Espagne. Les seuls bons chevaux étaient les genêts espagnols. On buvait le chocolat d'Espagne, on se frisait, on filait sa moustache à l'Espagnole. « Votre beau guerrier, écrit Voiture à une dame, consiste tout en la pointe de sa barbe espagnole et de ses deux mous- taches de même *. « L'influence, alors combattue, bientôt toute-puissante, d'une reine espagnole eût suffi à expliquer cet engouement qui ne fut point éphémère. Longtemps après on pardonnait encore à l'Espagne ses folies en considération de sa hauteur d'âme :

Mais c'est bien d'une âme espagnole, Et plus grande encore que folle 2.

Il n'en faut pas tant pour comprendre avec quelle avidité Cornoille dut lire les Comedias nuevas de Castro, imprimées sur de mauvais papier à chandelle, dos maravedis cada pliego. Mais ce qui est reiiiarquable, c'est que l'enthousiasme chez lui n'exclut pas la réflexion indépendante, c'est qu'il ne se laissa pas éblouir par la fantaisie pittoresque d'un poème plus épique que dramatique, et qu'à mesure qu'il lisait et admirait, le drame espagnol de 1 honneur pur se transfigu- rait en lui et devenait le drame tout français de l'honneur et de l'amour mis aux prises. L'amour! il apparaissait déjà sans doute chez Castro, et avant lui, chez l'historien Mariana, dans le Romancero même, où, du haut de son balcon éclairé par la lune, Ximena jette cet adieu à son amant désespéré : « Buenas noches, mio Cid! Bonne nuit, mon Cid! » Mais ce qui n'était que l'accessoire devient l'essentiel chez Corneille, et la galanterie castillane devient la passion héroïque, la passion qui se connaît, et, se connaissant, se sacrifie.

Rien ne prouve, d'ailleurs, que Corneille s'en soit tenu à la lecture de Guilhem de Castro. Cet idéal, qu'il fit sien , il

1. Vojrez Philarèto ChaalM : La Fnmea, tSipagne tt Vltmlie au xvii* sièeU. S. L« F(«t«iM.

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