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«• LE CID

Rodrigue* ». Timidement, Corneille essaye ae juslifier sur les autres points cet administrateur prudent, qui fait tous ses efforts pour s'élever à la dignité de roi de tragédie : « Je dois agir en roi^ », mais qui n'y réussit pas toujours. Il est certain que, chez Castro déjà, le roi constatait mélancolique- ment l'impuissance de l'autorité royale : « Je suis un roi mal obéi ». Premier roi de Castille, moins puissant que ne l'ont été ses successeurs, et surtout qu'on ne l'esi en France en ce xvn* siècle « oii l'autorité royale est plus absolue ^ », don Fer- nand peut et doit « agir plus mollement » que ne le faisait même un Louis XIII, appuyé sur un Richelieu. Mais certains autres traits de don Fernand, par exemple sa défiance un peu sceptique des jugements de Dieu, son horreur des duels, sont d'un roi moderne plus que d'un roi du moyen âge. Ce caractère est donc formé d'éléments contradictoires.

Toutefois, il ne faudrait pas exagérer sa faiblesse : il sait, quand il le faut, prendre une résolution et s'y tenir; cette indulgence conciliante n'exclut pas la fermeté. Il laisse parler trop librement peut-être Don Sanche, qui défend le comte ; mais dès que don Sanche dépasse la mesure, il lui impose silence. Il accepte le même don Sanche comme champion de Chimène; mais il exige en même temps que Chimène épouse le vainqueur. Caprice mjuste de despote, disent certains critiques, qui s'indignent tour à tour et de la faiblesse et de la fermeté du prince. Non, mais sage précau- tion d'un roi qui veut en finir avec ces contestations éter- nelles, d'un politique qui d'avance sait à merveille qui sera le vainqueur, d'un ami et d'un père qui connaît l'amour de Rodrigue et de Chimène l'un pour l'autre, qui dicte moins une volonté qu'il ne donne un conseil, et qui, à la fin de la pièce, satisfait de voir ses espérances réalisées, oublie à dessein d'imposer un dénouement qu'il a préparé. Il est vrai qu'il l'a préparé par la scène de l'épreuve, qui arrache a Chimène l'aveu de son amour, et qui appartient à la tragi-comédie pure. On sourit de le voir tendre à Chimène un piège innocent, se réjouir de l'y voir tomber, et prendre plaisir ensuite à la détromper. Mais d'où vient que cette scène paraisse, au début, si peu tragique, malgré la situation pénible où Chimène s'y trouve placée? C'est qu'elle vient après le récit épique de Rodrigue. Là est le malheur de don Fernand : il est pris entre deux héros qui foal résolument

1. Examen du Cid. S. Voyez ii yen 600. >. Examen du Cid.

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