Page:Corneille Théâtre Hémon tome1.djvu/246

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7S L£ CID

D peut vaincre don Sauchc avec fort peu de p«iaer Mais» non pas avec lui la gloire de Chimène •.

C'est que le poète a voulu tenir jusqu'à la fln la balance égale entre le devoir et la passion. A l'éclat passionné de la seconde entrevue il oppose ces froides réserves d'une scène assez inutile à l'action ; mais à cette scène il fait succéder la scène de la méprise, où Chimène, trompée, laisse voir son âme à découvert, et la scène où elle supplie le roi de ne pas la donner à don Sanche qu'elle croit le meurtrier de Rodrigue :

Votre Majesté, Sire, elle-même a pu voir Comme jai fait céder mon amour au devoir*.

Détrompée après celte longue erreur que son trouble explique en partie, va-t-elle faire eimn céder le devoir à l'amour, puisque l'amour a fait explosion devant tous, et qu'aux yeux de tous aussi le devoir est trop satisfait? Non, elle ne cache plus des sentiment» qu'elle ne peut plus cacher ; mais le devoir est resté le même, et elle y persévère. En vain le roi la presse, en vain Rodrigue est à ses genoux ; les dernières paroles qu'elle prononce sont tristes, mais fermes, et le roi lui-même ne peut rien espérer que du temps.

Tel est ce caractère unique de Chimène, si supérieur aux autres caractères déjeunes filles qu'à tracés Corneille d'une main plus lourde. On n'y saurait égaler que le caractère de Pauline, mais Pauline est femme, et sa grâce est moins jeune. Toutes deux ont les mêmes qualités exquises de bon sens et de mesure jusque dans la passion, d'énergie presque virile tempérée par une délicatesse touteféminine. Sans cesser d'être des femmes, toutes deux sont de fières consciences et de grands cœurs. M. Nisard l'a remarqué, sauf Chimène et Pauline, les femmes de Corneille participent de la nature héroïque des hommes. « Quoique le génie de Corneille semble avoir grandi dans Horace, Cinna et Poli/eucte, on garde néan- moins une préférence de cœur pour le Cid; si on ne l'aime pas plus, peut-être l'aime-t-on davantage. Un charme extra- ordinaire de jeunesse et de passion est répandu dans ce chef- d œuvre ^. » Ce charme viendrait-il de ce que le Cid est « la seule tragédie de Corneille où l'amour ose se montrer avec

��1. Cid,\,A. i. Cid. V, «. a. Histoire de la littérature /VwipaiM, i. II.

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