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INTRODUCTION 78

tout son empire *? » Les contemporains en jugeaient diver- sement : les uns, sans doute ceux chez qui les scènes pas- sionnées éveillaient ce « frémissement >> dont parle Corneille dans son Examen, regrettaient que l'héroïque constance des deux amaçts ne fût pas récompensée au dénouement- le» autres, comme Scudéry, affectaient de croire que ce dénoue- ment éiait le mariage de Rodrigue et de Chimène, et protes- aient au nom de la morale ofTensée. Aux premiers, Corneille répondra plus tard : « Je connais des gens d'esprit, et des plus savants en l'art poétique, qui m'imputent d'avoir négligé d'achever le Cid et quelques autres de mes poèmes, parce que je n'y conclus paa précisément le mariage des premiers acteurs, et que je ne les envoie point marier au sortir du théâtre. A quoi il est aisé de repondre que le mariage n'est point un achèvement néces- saire pour la tragédie heureuse, ni même pour la comédie, guant a Ja première, c'est le péril d'un héros qui la constitue et, lorsqu il en est sorti, l'action est terminée. Bien qu'il ait de 1 amour, il n'est pas besoin qu'il parle d'épouser sa maî- tresse quand la hienséance ne le permet pas; et il suffit d'en donner 1 id. e après avoir levé tous les empêchements sans lui en taire déterminer le jour. Ce serait une chose insupportable que Chimene en convînt avec Rodrigue dès le lendemain qu 11 a tue son père; et Rodrigue serait ridicule s'il faisait la moindre démonstration de le désirer 2. »

Aux autres, qui critiquaient, non l'absence de dénouement, mais 1 immoralité d'un dénouement imaginaire, il eût pu se contenter de conseiller une lecture plus attentive de la der- nière scène. Pour nous, modernes, nous ne concevons même pas que la question ait pu se poser, car c'est presque un lieu commun de dire, avec un poète remarquable par l'élévation morale de sa poésie => : « Le Cid est l'œuvre immortelle du théâtre français, c'est le poème de la jeunesse, du noble amour, tout ce qu'il y a de plus beau dans l'àme humaine. Voila le secret des prédilections dont cette pièce fut entourée ttés sa naissance. Chaque âme s'y retrouve au plus beau moment de la vie et dans les plus hautes conditions de la tendresse, du courage et de la vertu ... Et pourtant le drame moderne nous a tellement habitués au spectacle de la pas- sion déréglée el furieuse que l'amour de Chimène nous semble presque froid.

1 . Guiiot, Corneille et son tempe.

2. Discours du poème dramatique.

3. M. de Laprade.

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