Page:Corneille Théâtre Hémon tome1.djvu/253

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dans les compagnies, chacun en savait quelque partie par cœur, on la faisait apprendre aux enfants et en plusieurs endroits de la France, il était passé en proverbe de dire : « Cela est beau comme le Cid *. » — « Jamais pièce de théâtre, dit à son tour Fontenelle, n’eut un si grand succès. Je me souviens d’avoir vu en ma vie un homme de guerre et un mathématicien, qui detoutes les comédies du monde ne connaissaient que le Cid. L’horrible barbarie où ils vivaient n’avait pu empêcher le nom du Cid d’aller jusqu’à eux. Corneille avait dans son cabinet cette pièce traduite en toutes les langues de l’Europe, hormis l’esclavonne ^ et la turque. Elle était en allemand, en anglais, en Camand, et, par une exactitude flamande, on l’avait rendue vers par vers; elle était en italien, et, ce qui est plus étonnant, en espagnol. Les Espagnols avaient bien voulu copier eux-mêmes une copie dont l’original leur appartenait 3, )) Enfin, les frères Parfaict, fidèles échos d’une tradition encore récente, écrivent *: « Semblable à un coup de foudre, la première représentation du Cid causa une surprise universelle, répandit une consternation générale parmi les auteurs dramatiques, et fit connaître les sublimes talents de M. Corneille, qui dés ce moment fut reconnu le maître de tous ceux qu’il avait regardés comme ses rivaux. »

La « consternation » des rivaux ne tarda pas à se tourner eu aigreur jalouse. A leur suite, ou peut-être à leur tête, Richelieu, d’abord bienveillant pour le poète, dont il avait fait représenter deux fois l’œuvre au Palais-Cardinal, sentit ses inquiétudes s’éveiller, et la querelle du Cid s’ouvrit.

1. Histoire de l’Académie.

2. M. Picot, dans sa Bibliographie cornélienne, cite deux traductions du Cid en Magyar, deux en polonais, deux en russe, une en grec moderne, dix-sept traductions ou imitations en allemand.

3. Il est probable Qu’il s’agit de la pièce en trois actes de Diamante : El honrador de su padre. Ce passage de Fontenelle eût épargné à Voltaire son erreur sur Diamante, qu’il fait précurseur de Corneille.

4. Histoire du théâtre français, t. V, p. Ui.