Vos mains seules ont droit de vaincre un invincible ;
Prenez une vengeance à tout autre impossible.
Mais, du moins, que ma mort suffise à me punir ; 1795
Ne me bannissez point de votre souvenir ;
Et, puisque mon trépas conserve votre gloire,
Pour vous en revancher conservez ma mémoire,
Et dites quelquefois, en déplorant mon sort :
« S’il ne m’avait aimée, il ne serait pas mort. » 1809
CHIMÈNE.
Relève-toi, Rodrigue. Il faut l’avouer, Sire,
Je vous en ai trop dit pour m’en pouvoir dédire.
Rodrigue a des vertus que je ne puis haïr ;
Et quand un roi commande, on lui doit obéir.
Mais à quoi que déjà vous m’ayez condamnée, 1805
Pourrez-vous à vos yeux souffrir cet hyménée ?
Et quand de mon devoir vous voulez cet effort,
Toute votre justice en est-elle d’accord ?
1793. Rodrigue parle trop ici en matamore. L’élan d’orgueilleux enthousiasme avant le combat était naturel et même émouvant ; après le combat, on voudrait que le vainqueur fît sonner moins haut sa victoire et prît moins à tâche de faire comprendre à Chimène ce qu’elle perdrait en le perdant.
1798. Pour vous en revancher, pour en prendre votre revanche.
Pour vous en revancher dois-je moins que mon cœur ?
(Suite du Menteur, 1304.)
M. Littré cite des exemples de ce mot pris chez Pascal, La Fontaine, Saint-Simon et même Vauvenargues. Voltaire écrivait pourtant : « Le mot revancher est devenu bas ; on dirait aujourd’hui : pour vous en récompenser. » Étranges vicissitudes de la langue ! se récompenser d’une chose, pour s’en dédommager, a également vieilli.
1799. Var. Et dites quelquefois, en songeant à mon sort (1637-60.)
1802. Var. Mon amour a paru, je ne m’en puis dédire. (1637-56.) Je vous en ai trop dit pour oser m’en dédire. (1660.)
1804. Var. Et vous êtes mon roi, je dois vous obéir. (1637-56.)
1806. Var. Sire, quelle apparence, à ce triste hyménée,
Qu’un même jour commence et finisse mon deuil.
Mette en mon lit Rodrigue et mon père an cercueil ?
C’est trop d’intelligence avec son homicide.
Vers ses mânes sacrés c’est me rendre perfide
Et souiller mon honneur d’un reproche éternel. (1637-56.)
Ces vers embarrassants à force d’être vrais rendaient tout dénouement impossible ; Corneille a compris qu’il devait prêter à Chimène un langage moins absolu.
1806. Il semble étrange qu’on dise d’une chose au singulier qu’elle est d’accord ; on trouve pourtant plusieurs exemples de cette locution chez Corneille et ailleurs :
Mon affaire est d’accord, et la chose vaut faite. (Menteur. 746.)
M. Littré remarque qu’on dit bien, comme Molière, dans le Mariage forcé.. « Tout est d’accord, » et que cette façon très commune de parler suffit à justifier Corneille.