Page:Corneille Théâtre Hémon tome2.djvu/199

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INTRODUCTION 15

quand nous rencontrons un homme là ofi nous pensions ren- contrer un tyran, l'admiration que nous inspirent d'abord le farouche héroïsme d'Emilie, puis la clémence généreuse d'Auguste, tout cela n'est qu'une affaire de pure curiosité! La Harpe, il est vrai, daigne reconnaître que Cinna est un drame beaucoup plus régulier que les Horaces et que les scènes y sont bien liées entre elles. Mais d'autres avaient été plus hardis ou plus naïfs, comme ce jeune marquis de Vauvenargues, dont la délicatesse trop susceptible était effarouchée d'entendre parler si haut les Romains de Corneille : « Cette affectation de grandeur que nous prêtons aux Romains m'a toujours paru le principal défaut de notre théâtre et l'écueii ordinaire des poètes. Je n'ignore pas que la hauteur est en possession d'en imposer à l'esprit humain ; mais rien ne décèle plus parfai- tement aux esprits fins une hauteur fausse et contrefaite qu'un discours fastueux et emphatique ^ »

Cette amertume un peu dédaigneuse suffit à nous avertir que le goût public ne s'était pas éloigné de Cnina au xvi?." siècle. II est vrai que le nombre des représentations n'atteignit pas trois cents ; mais quelques-unes eurent un éclat exceptionnel, commecellede 1720, où l'on vitreparaitrele vieux Raron,etcelle de 1780, donnée au profit du petit neveu de Corneille. Des artistes tels que Lekain, Mole, Monvel, soutinrent long- temps la fortune d'un drame qui se soutenait d'ailleurs par lui-même. Mais, à mesure que la Révolution s'approche, les idées reçues sur C^nna subissent une transformation remarqua- ble : de plus en plus on y voit une tragédie politique, une sorte de thèse au sujet de laquelle les esprits se passionnent en sens contraire. Quand la Révolution a accompli son œuvre, cette tendance subsiste et même s'accuse . La scène de la délibération du second acte y gagne une popularité inattendue : une légende qui a cours à la Comédie française veut que le public, enthou- siasmé, aitété une fois jusqu'à la bisser; il est vrai que Talraa était en scène. Une autre l'ois, l'on voyait deux camps se former dans la salle, prêts à en venir aux mains- : les uns, conserva» teurs bruyants, couvraient de longs applaudissements le vers fameux :

Le pire des Etats, c'est l'Etat populaire.

Les autres, non moins bruyants républicains, réservaient tous leurs bravos pour cet autre vers de la même scène :

Et le seul consulat est bon pour les Romains.

1 . On trouvera à leur place les critiques analogues de Fénelon dans sa Leitn i l'Académie. î. Mémoires de Hsm.

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