16 CINNA
Déjà les pelures d'orange, mitraille inoffensive, pleuvaienl sur les têtes, quand linlcrvention opportune de la garde mit fin à ce débat médiocrement littéraire.
Ou nous nous trompons fort, ou dans le premier camp levait figurer GeoEfroy, le critique du Journal des Débats. D'autres cherchent partout, et là même où il nele faudrait pas, des précurseurs à la Révolution française ; lui, n'hésite pas à croire que Corneille a prévu, par un étonnant instinct de divination, les excès de la Révolution future et la prétendue nécessité du despotisme, qui, sous prétexte de tout apaiser, de- vait tout asservir. 11 voit dans Cinna l'exemple des fatales con- séquences du fanatisme politique, le tableau admirable des malheurs de l'anarchie, le contrepoison de ces funestes systèmes qui n'établissent que la liberté du crime. « Cinna, écrit-il S nous inspire un intérêt particulier : nous y retrou- vons ce que nous avons été, ce que nous sommes, un grand empire, longtemps déchiré par les factions, enfin rendu à l'ordre, au bonheur, à la gloire. Les sophismes de la hcence confondus avec les principes de la liberté, les passions anar- chiques enchaînées au pied du trône du premier empereur de Rome et du maître du monde, le fanatisme de la démago- gie écrasé par l'esprit social et conservateur, voilà les tableaux que nous présente cette sublime tragédie. » ,
Ainsi, avant le Consulat et l'Empire, on n'entendait nen à Cinna. Qu'en eussent dit Ralzac, Saint-Evremond et Voltaire? Quelqu'un devait approuver sans réserve : c'est Napoléon. Lui aussi voyait partout la politique; aucune œuvre littéraire n'était bonne à ses yeux, si elle ne pouvait devenir un instru- ment de domination. Longtemps il a été de mode de vanter son grand sens des choses de l'esprit; les Mémoires, récem- ment publiés, de M'"^ de Rémusat montrent au contraire combien peu désintéressées ont été ses admirations, combien faux parfois ses jugements. « Quant aux poètes français, disait-il, je ne comprends bien que votre Corneille. Celui-là avait deviné la politique, et, formé aux affaires, eût été un homme d'Etat. Je crois l'apprécier mieux que qui que ce soit, parce qu'en le jugeant j'exclus tous les sentiments drama- tiques. Par exemple, il n'y a pas bien longtemps que je me suis expliqué le dénouement de Cinna. Je n'y voyais d abord que le moyen de faire un cinquième acte pathétique, et encore la clémence proprement dite est une si pauvre petite vertu, quand elle n'est point appuyée sur la politique, que celle d'Auguste, devenu tout à coup un prince débonnaire,
l. Cours de littérature dramatique.
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