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ft4 CINNA

Elle a le cœur trop bon pour se voir avec joie

Le rebut du tyran dont elle fut la proie, 690

Et tout ce que sa gloire a de vrais partisans

Le hait trop puissamment pour aimer ses présents.

MAXIME.

Donc pour vous Emilie est un objet de haine?

CINNA.

La recevoir de lui me serait une gêne.

Mais, quand j'aurai vengé Rome des maux soufferts, 695

Je saurai le braver jusque dans les enfers.

Oui, quand par son trépas je l'aurai méritée,

Te veux joindre à sa main ma main ensanglantée,

L'épouser sur sa cendre, et qu'après notre effort

Les présents du tyran soient le prix de sa mort. 700

MAXIME.

Mais l'apparence, ami, que vous puissiez lui plaire ,

689. Le cœur trop bon, trop généreui :

J'ai le coenr aassi bon. mais enâo je sois homme. (Borace, tët.)

690. Rebut, objet du rebut d'une personne :

Le rebut de Pompée est encor quelque chose. {Sertorivt, tU.)

694. For. Donc pour vous Emilie est un objet de haine.

Et cette récompense est pour vous une peine? — Oui, mais pour le braver jusque dans les enfer?, Quand nous aurons vengé Rome des maux soufferts. Et que, par son trépas, je l'aurai méritée. (1643-66.)

Une gêne, une torture véritable ; voyez la note du v. 389. — « Gêner, dit M. Marty-Laveaui, vient de gehenna, qui, dans le Nouveau Testament, désigne l'enfer, par allusion à la vallée de Geennon, voisine de Jérusalem, et où les Juifs, qui Y avaient adoré les idoles, auxquelles ils immolaient leurs propres enfants, établirent ensuite une voirie. Nicot explique ce mot, qu'il écrit geine, géhenne ou germe, par torture ou question ; c'est, en elTet, le sens qu'il avait alors au propre, ce qui en faisait une expression d'une très grande énergie. » Pnis-je vivre et traîner cette gêne éternelle ? {Rodofjune, 1695.)

695. Des maux soufferts, pour : des maux qu'elle a soufferts. Cette construc- tion du participe pris absolument, inusitée au temps de Voltaire, qui souhaitait de la voir s'introduire dans la langue, est familière aux poètes modernes.

700. u Cet alTermisbement de Cinna dans son crime, cette fureur d'épouser Emilie sur le tombeau d'Auguste, » choquent Voltaire. Il est certain que Cinna déploie ici un luxe de férocité tout à fait inutile, d'autant plus que sa conduite future démentira ces élans d'une énergie un peu mélodramatique. En assistant au brusque revirement qui se produit, au troisième acte, dans le caractère de Cinna, nous aurons occasion de remarquer que Corneille, peu fait aux nuances, passe d'un extrême à l'autre.

701. Apparence, très souvent pris, au xvii" siècle, dans le sens de vraisem- blance. L'apparence que... quelle apparence que..., \oc\i\.\on non moins usitée alors pour: est-il vraisemblable? — Quelques comm'entateurs se sont demandé si, au point où en sont les choses, cette ignorance des sentiments d'Emilie était naturelle. Il faut observer qu'au premier acte tout se passe entre Cinna, Emilie et Fulvie ; si Emilie n'ignore pas que Maxime est le complice de Cinna, Maxime peut ignorer la part qu'Emilie prend à la conjuration. Dans le fameux discours de Cinna aux conjurés, aucun mot, aucune allusion ne leur fait deviner un secret dont un confident intime et une Gdèle suivante sont les seuls dépositaires. Emilie Mut tout diriger de loin, invisible et présente.

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