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ACTE III, SCÈNE II 121

L'un me semble trop bon, l'autre trop inhumaine.

Plût aux dieuï que César employât mieux ses soins,

Et s'en fil plus aimer, ou m'aimât un peu moins, 800

Que sa bonté touchât la beauté qui me charme,

Et la pût adoucir comme elle me désarme !

Je sens au fond du cœur mille remords cuisants

Qui rendent à mes yeux tous ses bienfaits présents;

Cette faveur si pleine, et si mal reconnue, 805

Par un mortel reproche à tous moments me tue.

Il me semble surtout incessamment le voir

Déposer en nos mains son absolu pouvoir,

Ecouter nos avis, m'applaudir, et me dire :

« Cinna, par vos conseils je retiendrai l'empire, 810

Mais je le retiendrai pour vous en faire part. »

Et je puis dans son sein enfoncer un poignard!

A-hi plutôt... Mais, hélas! j'idolâtre .Emilie;

Un serment exécrable à sa haine me lie ;

L'horreur qu'elle a de lui me le rend odieux. 815

Des deux côtés j'offense et ma gloire et les dieux :

Je deviens sacrilège, ou je suis parricide,

Et vers l'un ou vers l'autre il faut être perfide.

MAXIME.

Vous n'aviez point tantôt ces agitations;

instant, la passion l'entraîne et l'abandonne. Tout à l'heure, exalté par les récentes exhortations d'Emilie et par la perspective d'un péril imaginaire, il s'est élevé •u-dessus de lui-même et s'est maintenu quelque temps à cette hauteur; puis, quand Emilie et Auguste sont k)in, livré k ses réflexions, il hésite, gémit, sans savoir se résoudre, en un mot redevient lui-même, après la crise passionnée qui l'a tout à l'heure arraché à sa nature molle et indécise.

799. Viar. Plût anx dieux que César, avecque tons ses soins.

On s'en fit pins aimer on m'aimât an peu moins. (1643-66,)

81i. Retenir, garder, sens dii latin retinere. — Ce vers peut sembler tout au moins naïf, dans la bouche de Cinna. On se demande si son ambition n'inspire pas ses remords, autant que son afTection pour Auguste. Il dit, en quelque sorte: ■ Tuer Auguste au moment même où il vient de me donner une part de son pou- voir, quelle ingratitude! et aussi quelle maladresse! »

816. Offenser n'est pris que rarement en ce sens, avec un nom de chose oour régime:

Offensez sa victoire, irritez sa colère. {Borace, 1247.)

Si l'on en croyait Voltaire, les dieux seraient mis là pour la rime ; c'est qu'il n'a pas bien lu le vers suivant, ni bien saisi l'antithèse : parricide, j'ofTense ma gloire; sacrilège, j'ofTense les dieux.

817. « On ne se sert pas seulement du mot parricide pour signifier celui qui a tué son père, mais pour tous ceux qui commettent des crimes énormes et déna- turés de cette espè'e, tellement qu'on le dira aussi bien de celui qui aura tué sa mère, son prince, ou trahi sa patrie, que d'un autre qui aurait tue son père ; car tout cela tient lieu de père. » (Vaugclas, Remarques.) Voyez les v. i5P4 et 1182.

818. Vers, pour à l'égard de, envers, comme au v. 464; voyez la note.

810. ■ Vous Toyei que Corneille a bien senti l'objection. Maxime demasde à

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