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164 CINNA

Si je t'abandonnais à ton peu de mérite.

Ose me démentir, dis-moi ce que tu vaux;

Conte-moi tes vertus, tes glorieux travaux,

I,es rares qualités par où tu m'as dû plaire, 1525

Et tout ce qui t'élève au-dessus du vulgaire.

Ma faveur fait ta gloire, et ton pouvoir en vient;

Elle seule t'élève, et seule te soutient:

C'est elle qu'on adore, et non pas ta personne ;

Tu n'as crédit ni rang qu'autant qu'elle t'en donne, 1530

Et, pour te faire choir, je n'aurais aujourd'hui

Qu'à retirer la main qui seule est ton appui.

J'aime mieux toutefois céder à ton envie ;

Règne, si tu le peux, aux dépens de ma vie.

Mais oses-tu penser que les Serviliens, 1535

Les Cosses, les Métels, les Pauls, les Fabiens,

Et tant d'autres enfin, de qui les grands courages

Des héros de leur sang sont les vives images,

Quittent ie noble orgueil d'un sang si généreux

Jusqu'à pouvoir souffrir que tu règnes sur eux? 1540

Parle, parle, il est temps.

1522. « Ces vers et les suivants occasionnèrent un jour une saillie singulière. Le dernier maréchal de la Feuillade, étant sur le théâtre, dit tout haut à Au- guste : « Ah ! tu me gâtes le Soyons amis, Cinna. » Le vieux comédien qui jouait Auguste se déroncerta et crut avoir mal joué. Le maréchal, après la pièce, lui dit : « Ce n'est pas vous qui m'avez déplu ; c'est Auguste, qui dit à Cinna qu'il n'a aucun mérite, qu'il n'est propre à rien, qu'il fait pitié, et qui ensuite lui dit; Soyons amis. Si le roi m'en disait autant, je le remercierais de son amitié. » Il y a un grand sens et beaucouo de finesse dans cette plaisanterie. Cela n'empêche pas que le discours d'Auguste ne soit un des plus beaux que nous ayons dans notre langue. » (Voltaire.) Palissot juge, au contr;iire, ce mot plus fin que vrai*, o Auguste, écrit-il, se devait à lui-même de dire à Cinna tout ce qu'il lui dit. Puisqu'il était son ami auparavant, et qu'il veut bien continuer de l'être, son intention n'est pas de l'avilir, mais de le remettre à sa place en lui faisant sentir le peu de puissance réelle qu'il a et tous les obstacles qui s'opposeraient à son ambition. Ajoutons même que la clémence d'Auguste est intéressée à le lui faire sentir, pour le détourner d'une rechute qui deviendrait impardonnable. » La Harpe observe même que Cinna ne doit pas être étonné du langage d'Auguste, .ui qui, au v. 882, a parlé si modestement de lui-même. Mais, vraie ou fausse, la modestie a besoin d'être, ou de paraître spontanée ; dès qu'on l'impose, elle prend le nom d'humiliation. Quoi que prétende le même La Harpe, nous doutons que le spectateur se plaise à voir humilier à ce point Cinna ; ce plaisir cruel, c'est Auguste qui ne sait pas se le refuser ; d'avance il prend sa revanche de sa clémence future, qui ressemble presque à une vengeance: car il est vengé de» à présent. D'ailleurs, il ignore s'il pardonnera, et le Soyons amis est encore loi^

1525. Par où, par lesquelles; voyez les v. 408, 456, 1045, 1132.

1536. Les Servilius, les Cossus, les Metellus, les Fabius ; voyez les v. 265 et 438. — « Cedo, si spes tuas solus impedio, Paulusne te et Fabius Maximus el Cossi et Servilii ferent, tantumque agmen nobilium, non inania nomina praefe- rentium, sed eorum qui imaginibus suis decori sunt? » (Sénèque.)

1537. Les grands courages, pour : les grands cœurs. Voyez la note du ». 77. 1598, Vives, pour vivantes, vivx effioie»

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