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168 CINNA

Il fut votre tuteur, et vous son assassin,

Et vous m'avez au crime enseigné le chemin. 16O0

Le mien d'avec le vôtre en ce point seul diffère,

Que votre ambition s'est immolé mon père.

Et qu'un juste courroux, dont je me sens brûler,

A son sang innocent voulait vous immoler.

LIVIE.

C'en est trop, .î^milie, arrête, et considère 1G03

Qu'il t'a trop bien payé les bienfaits de ton père: Sa mort, dont la mémoire allume ta fureur, Fut un crime dOctave, et non de l'empereur.

Tous ces crimes d'État qu'on fait pour la couronne, Le ciel nous en absout alors qu'il nous la donne, 1610

Et, dans le sacré rang où sa faveur l'a mis. Le passé devient juste et l'avenir permis. Qui peut y parvenir ne peut être coupable; Quoi qu'il ait fait ou fasse, il est inviolable ;

1600. Le chemin au crime, vers le crime, latinisme : ad scelui. 1605, Arrête et considère, comme dans Horace (I, i) :

Arrête et considère Qne ta portes le fer dans le sein de ta mère.

1611. « Voilà une syllepse bien hardie. On ne sait à quoi rapporter ce pronom l'a, qui ne représente aucun des mots de la proposition qui précède. La pensée l'applique à l'usurpateur qui a réussi. Dans le vers suivant, l'avenir permis es* obscur ; cependant on devine que Livie entend qu'on doit laisser vivre celui qu» le sort a favorisé. Elle déflare, en effet, qu'il est inviolable. » {M. Geruzcz.)

1612. Les comédiens ont retranché tout ce couplet de Livie, et il n'est pas i regretter. Non seulement Livie n'était pas nécessaire, mais elle se faisait de fêt* mal à propos pour débiter une niaxime aussi fausse qu'horrible, (ju'il est permit d'assassiner pour une couronne et qu'on est absous de tous les crimes quand on règne. » (Voltaire.) M. Guizot dit, au contraire, en se plaçant au point de vur historique : u Sans le vouloir et sans qu'on s'en aperçût, Corneille a assujetti ses personnages à l'ensemble des idées de son temps, de ce temps où de longs troubles avaient jeté dans la morale, encore peu avancée, quelque chose d» cette incertitude qu'engendrent les liaisons de parti et les devoirs de situation • peu d'idées générales et beaucoup d'intérêts particuliers et divers laissaient un» grande latitude à cette morale de circonstance, qui se forme selon le be«oin des affaires, et que les besoins de la conscience transforment en vertu d'Etat; les principes de la morale commune ne semblaient obligatoires que pour les per- sonnes qu'un grand intérêt n'autorisait pas à les dédaigner, et Livie pouvait dir# sans étonner personne : Tous ces crimes d'Etat, etc. » (Corneille et son temps.) Il suffit d'avoir lu les Mémoires de la Fronde pour donner raison à M. Guiiot, sans qu'il soit même besoin de montrer combien cette morale équivoque est conforme au caractère de Livie, que l'histoire nous peint capable de tout pour con<^uérir et garder le pouvoir. Ce n'est pas seulement chez Corneille qu'on trouvait ces maximes, véritable lieu commun exploité par tous les poètes contemporains ; nous n'en voulons prendre des exemples que dans Rotrou, le plus honnête et le pluf Ger peut-être de tous :

Les crimes sont beaux, dont nn trône ej< le prix

Un dessein glorieux est toujours légitime ;

S'il passe pon' un mal, c'est dans la folle estime

D'un esprit abattu. Jamais des grands dangers no grand ccenr ne s'étonne,

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