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24 HORACE

Pourquoi ne pas le dire? On s'est trop habitué peut-être à idenlifier Corneille avec les liéros cornéliens, et l'on a un peu oublié le normand madré, qui, à de certains moments, se laisse entrevoir à côté de Rodrigue ou d'Horace. II y a deux lioramcs en lui, l'homme indépendant et conscient de sa valeur, qui sait, quand il le faut, faire tête à l'orage, et l'homme de cour, gauche, emprunté, mal à l'aise dans un rôle qui n'est pas fait pour lui, mais point si naïf cependant qu'on pourrait le croire, et diplomate àl'occasion. C'est ainsi qu'il ne se contentait pas « d olre à son Eminence'» et de le dire ; il s'efforçait encore de gagner les gens qui tenaient à Son Eminence de plus près que lui. Il lisait son Horace à un public choisi^.Chez qui? ChezRoliou peut-être, le seulqui eût défendu le Cid? Non, mais chez l'abbé de Boisrobert, qui l'avait parodié. Et quels audi- teurs privilégiés assistaient à cette lecture? Précisément ceux dont Corneille avait intérêt à prévenir l'hostilité déjà éprou- vée: à côté du cynique Boisrobert, valet à tout faire du car- dinal, le maigre et pâle Claude de l'Estoile, seigneur du Saussay, que Corneille avait déjà rencontré dans la commission des cinq auteurs, et qui avait la réputation de connaître à fond les règles, critique redoutable par là; à côté de Barreau et Charpi, dont la postérité ne se souvient guère, le docte Chapelain, dont elle se souvient en souriant; à côté de Faret, l'un des premiers académiciens, mais dont le nom rimait ti'op facilement à cabaret; le dogmatique abbé d'Aubignac, théo- ricien estimable de la tragédie et mauvais tragique, mais mauvais dans les règles. ChezLous, le respect, au moins appa- rent, des règles était égal au dévouement pour le cardinal; double raison pour aue Corneille ménageât cet étrange aréopage.

Quels sentiments fit naître cette lecture, nous le savons par l'aveu même des principaux auditeurs. Boisrobert applaudis- sait bruyamment, ce qui ne l'empêchait point de se moquer tout bas, en écoutant Corneille, fort mauvais lecteur, on le sait, « barbouiller» de si beaux vers'. Chapelain critiquait la fia de la pièce, brutale et froide à son jugement, etgraveinent, doctoralemenl, démontrait « par le menu » à Corneille com- ment il eût dû s'y prendre *. Pour d'Aubignac, il louait la narration coupée du combat, l'invention du caractère de

i. Epiire dédicatoire.

2. Troisième dissertation concernant le poème dramatique en forme de re- marques sur la tragédie de M. Corneille, intitulée l'CEr.ieB, par l"aLbé d'Au«  bignac.

3. Menagiana.

4. Lettre de Chapelain à Balzac, 17 Dovembre 1640.

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