Page:Corneille Théâtre Hémon tome2.djvu/59

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INTRODUCTION 4S

Corneille, fait celte réponse si pathétique par la bouche de Curiace :

Je vous connais encore, et c'est ce qui me tue,

conij^eaiU ainsi ce qu'il y a d'outré dans le héros par ce qu'il y a de plus naturel dans l'homme, elle sublime du possible par le sublime de la réalité '.» Assurément, l'antithèse, ce procédé si éniinemmcnl diamatique, est partout dans i/oroce ; au vieil Horace s'oppose le jeune Horace; au jeune Horace, Curiace; à Curiace, Valère; à tous, Sabine et Camille, qui, à leur tour, s'opposent entre elles. .Mais au profil de qui loui-ne l'antithèse, dans ci Ite fameuse scène m de l'acte 11? Nous n'hé- sitons pas à le dire, contrairement à une opinion fort répan- due : c'est au profil du jeune Horace.

Certes, il est impossible d'imaginer un plus « honnête homme » que Curiace. 11 représente une autre variété du patriotisme, et ne croit pas que le dévouement à la patrie exige le sacrifice de l'amilié ni de l'amour. Horace ne veut voir que ce qui divise les Albains et les Romains; Curiace aime à se souvenir de ce qui les rap[iroclie. Nous le comprenons et nous l'aimons aujourd'hui, mieux qu'Horace, ce héros dont l'hé- roïsme nous est accessible et qui au-dessus de la petite patrie aperçoit la grande. Nous aussi, sans embrasser naïvement toutes les nations dans une frateinilé illusoire, nous ne nous croyons pas obligés de les confondre toutes dans une haine stupide, et nous ne nous laissons même aller à la haine que lorsque la haine devient un devoir patriotique. Mais est-ce que le devoir même ne semlde pas être ici du côté de Curiace? Est-ce que les deux nations ne sont pas vraiment ici des nations sœurs? Peut-il deviner que ce petit peuple romain, cnllé d'ambitions démesurées, ne veut pas reconnaître de frères, parce qu'il ne veut pas reconnaître d'égaux? I,03'ale- ment, il tend la main h. son adversaire; il s'aftlige qu'on la repousse; il s'indigne qu'au dédain on joigne l'outrage, car il a conscience de ne point le mériter. Sa pitié, il le dit, n'est point une lâche terreur; il court sans délibérer à son devoir, il ne souhaite pas de pouvoir reculer. Son cœur est touché, son courage n'est pas abattu :

Ce triste et fier honneur m'émeut sans m'ébranlers.

En vain Camille, sa fiancée, se trompant sur la nature de ^ passion, essaye de lui faire déserter ce devoir, si doulou-

1. M. Nisard : Histoire de la littérature française. 3. Acte II, se. m.

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