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INTRODUCTION 49

Clcopâtre. Ne nous demandons pas : l'aclion est-elle coiifornie aux règles de la slricle morale? Mais demandons-nous : 3st-elle vraisemblable et dramatique? (Jui oserait dire qu'en ce meurtre, auquel nous sommes prépaies par une si savanle gradation, la vérité dramalique — sans parler de la vérité bistorique — n'est pas respectée?

Non seulement le poète a pris soin de réunir en faisceau, comme on dirait aujourd'hui, toules les circonstances allT'- nuantes qui peuvent militer en faveur d'Horace, non seule- ment il a voulu que l'exaltation passionnée, égoïste, coupnlile de Camille nous rendit moins sensibles à son infortune, mais encore, même après le crime, il ne se détourne pas du cri- minel; il l'absout, au cinquième acte, par la bouche du vieil Horace, qui parle ici en citoyen plus qu'en père :

Un premier mouvement ne fut jamais im crime,

Et la louange est due, au lieu du cbàiiment,

Quand la vertu produit ce premier mouvement.

Aimer nos ennemis avec idolâtrie,

De rage en leur trépas maudire la patrie,

Souhaiter à 1 Etat un malheur infini,

C'est ce qu'on nomme crime et ce qu'il a puni *.

Aux yeux du vieil Horace, c'est donc Camille qui est coupa- ble; il est vrai que le vieil Ilorace plaide, et que le roi Tullus, juge impartial, a besoin de rappeler qu'elle n'est point la seule coupable. « Mais Horace a sauvé Rome, et cela sutht pour que le roi oublie ou plutôt excuse complètement lo crime. Non seulement il l'excuse, mais il finit par glorifier le criminel :

Vis donc, Horace, vis, guerrier trop magnanime Ta vertu met ta gloire au-dessus de ton crime ; Sa chaleur généreuse a produit ton forfail; D'une cause si belle il faut souffrir l'effet. Vis pour servir l'Etat 2.

« Servir l'Etat, c'est en cela que se résume la politique cor- nélienne '. »

S'il est, en effet, une conclusion qui ressorte de la tragédia entière, c'est que le dévouement sans réserve à la patrie esî la première des lois : Horace est absous et glorifié pour avoir suivi celte loi jusqu'au bout, même en violant les lois de la nature, tandis que Camille est punie pour n'en avoir pas compris la nécessité, supérieure à tous les sentiments persoa-

1. Acte V, se. in.

2. Ibidem.

l. VI de Bornier, La politique dans Corneille.

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