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18 LE MENTEUR

riage el du faux duel, avec d'autres détails sans importance. Mais i] a profondément modifié tous les caractères et le fond même de l'intrigue : le Cliton italien, par exemple, Arleccbino, gagné par la contagion du mensonge, s'efforce de rivaliser avec son maître, et s'embarrasse dans ses lourdes inventions ; il parle le patois de Venise, comme Pantalone, le père du men- teur, brave marchand facile à duper. Quant au menteur lui- même, bien qu'il porte le nom poétique de Lelio, il ne se contente pas de bafouer son père, qui veut le rnarier, et d'im- proviser la fable d'un mariage antérieur à iNaples : c'est un franc coquin, qui joint aux habitudes vicieuses d'un Dorante l'hypocrisie d'un Tartufe. Voyant le timide Florinde, étudiant de Bologne, courtiser Rosaure, l'une des filles * du docteur vénitien Ballanzoni, et multiplier, pour toucher son cceur, les sonnets, les cadeaux, les sérénades, l'imposteur fait si bien qu'on lui attribue tout le mérite de ces galanteries anonymes, et qu'on accueille avec empressement ce soupirant ingénieux, gentilhomme d'ailleurs, il le dit du moins. Est-il besoin d'a- jouter qu'une démarche plus hardie du plaintif étudiant fait tout découvrir et que Lelio est chassé honteuse:nent ? Sa puni- tion sera double : d'une part il s'est déjà puni lui-même en rendant impossible par se contes le mariage que lui offrait son père, et qui devait p'-oCisément l'unir à Rosaure ; d'autre part, raillé et abandonné de tous, il est ressaisi par une étrangère qu'il a jadi^ séduite et qui saura se venger.

Lelio est-il Don Juan? ou Tartufe? ou tous les deux ensemble? A coup sûr, il n'est plus Dorante. Le but moral que poursuit Goldoni est évident, et le dénouement suffirait k le mettre en lumière, si tant d'autres détails ne venaient concourir à l'impression d'ensemble : en effet, le Menteur italien ne fait autour de lui que des victimes ou des dupes; il vole son rival, corrompt sort valet, trompe son père, et fait traiter de menteur le naïf personnage qui se fait, très sin- cèrement, l'écho de ses mensonges.

Un seul poète pouvait remettre à la scène le Menteur, sans être écrasé par un tel souvenir, et c'était Corneille lui-même. Or, il n'y a pas réussi , et , quoiqu'il ait essayé de nous peindre un autre Doi'ante, la postérité n'en connaît qu'un c'est le Dorante du Menteur,

1. Baranzoni a une autre fille, fiancée à Octavio. gentilhomme de Padoue.

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