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INTRODUCTION 31

C'est par ce trait, autant que par l'esprit parfois gouailleur du dialogue, que Corneille annonce Régnard. On a rapproché le Menteur du Joueur, et l'on n'a pas eu de peirie à comparer le développement dramatique de deux travers également in- corrigibles. Mais il est surtout une scène du Joi<e?/r qui rappelle de fort près la grande scène entre Dorante et Géronte ; c'est celle où un autre Géronte, père de Valère, le jolleur effréné, en présence du valet Hector, un Clitoh de la fin du siècle, plus impudent que son aîné, somme son fils de changer de Vie :

Vous me poussez à bout; mais je vous ferai voir Que, si vous ne changez de vie et de manière. Je saurai me servir de mon pouvoir do père, Et que de mon courroux vous sentireÉ l'efTeti.

N'est-ce pas un écho très affaibli de Corneille? et la scène ne se lermine-t-elle pas sur les mêmes concessions pater- nelles :

Écoutez : je veux bien faire un dernier effort...

Ajoutez que ce sermon ne produit gUère plus d'effet que celui du Menteur; Valère continue à jouer, comme Dorante à mentir; mais ce qui est curieux, c'est que le dénouement de Regnard est plus franchement moral ; car il nous montre Valère abandonné de Celle qu'il aime, maudit et déshérité par son père.

Cette réserve faite (et il n'y faudrait pas trop insister, ni trop obscurcir de cette ombre un caractère que Corneille a voulu nous peindre séduisant), il ne reste plus qu'à reconnaître avec tout le monde la verve entraînante, la bonne grâce de jeunesse qui relèvent et sauvent les plus inutiles meiison- ges de Dorante. Il n'a ni l'odieuse hypofcrisie de Tartuffe, ni la duplicité de don Juan, ni la souplesse équivoque de Figaro. Nous ne savons si « l'homme est né menteur-» ; ce que nous savons bien, c'est que l'on ne saurait, sans affectation de rigo- risme, en vouloir à Dorante de mentir comme il ment. Ne ment pas ainsi qui veut.

« Il y a des gens, dit Pascal, qui mentent simplement pour mentir.*» Dorante est de ceux-là : il élève le mensonge à la hauteur d'un art, dont il est le virtuose, on serait tenté de dire le « maestro. » Ni grossièreté triviale, ni fourberie in- téressée : sa libre et joyeuse fantaisie se joue à travers les

1. Le Joueur, 1, se. m.

2. La Bruyère, XVI.

3. Pensées, VI, 29.

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