Page:Corneille Théâtre Hémon tome3.djvu/242

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Dorante, lui donnant la main.
Ce malheur me rend un favorable office,
Puisqu’il me donne lieu de ce petit service,
Et c’est pour moi, Madame, un bonheur souverain
Que cette occasion de vous donner la main.

Clariste
L’occasion ici fort peu vous favorise,
Et ce faible bonheur ne vaut pas qu’on le prise.


Dorante

Il est vrai, je le dois tout entier au hasard :
Mes soins ni vos désirs n’y prennent point de part,
Et sa douceur, mêlée avec cette amertume,
Ne me rend pas le sort plus doux que de coutume,
Puisque enfin ce bonheur, que j’ai si fort prisé,
À mon peu de mérite eût été refusé.

Clariste
S’il a perdu sitôt ce qui pouvait vous plaire,
Je veux être à mon tour d’un sentiment contraire,
Et crois qu’on doit trouver plus de félicité
À posséder un bien sans l’avoir mérité.
J’estime plus un don qu’une reconnaissance :
Qui nous donne fait plus que qui nous récompense,
Et le plus grand bonheur au mérite rendu
Ne fait que nous payer de ce qui nous est dû.
La faveur qu’on mérite est toujours achetée ;
L’heur en croit d’autant plus, moins elle est méritée ;
Et le bien où sans peine elle fait parvenir
Par le mérite à peine aurait pu s’obtenir.