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40 RODOGUNE.

de la grandeur, et aussi quelle tendresse de cœur, si ce mol peut s'employer ainsi, pour ce haut rang si longtemps occupé, conservé au prix de tant de luttes, et d'aulant plus cher mainte- nant qu'on semble plus près d'en descendre! Que despressions caressantes, presque amoureusesl Elle en est à ce point préoccu- pée qu'elle sort trop souvent des limites de la discrétion et de la prudence. Mais que ces aveux indiscrets et ces imprudentes conDdences ne nous trompent pas : Cléopâtre n'est pas une bêle fauve qu'entraîne un instinct irrésistible; ce n'est pas même, en dépit de ses fanfaronnades de scélératesse, une hé- roïne de mélodrame. Elle ne s'abandonne pas toujours, et c'est seulement quand la situation, plus forte qu'elle, la domine et l'égaré, qu'elle laisse échipper ce cri d'aveugie fureur :

Tombe sur moi le ciel, pourvu que je me venge ' I

Nous so nmes, ne l'oublions pas, en Asie, à la cour d'une reine orientale, violente assurément, maisaussi rusée que vio- lente, politique habile, aux yeux de qui le bien et le mal se con- fondent, et qui, n'étant esclave d'aucun préjugé, n'a pas assez de dédain pour ceux qui croient encore à la vertu, à la sincérité, à la valeur des eng;igements pris. Avec quelle pitié méprisante elle daigne s'ouvrir à Laonice, si indigne de la comprendre'. La scène a de l'acte II est tout un cours de politique, qui n'a rien de commun avec la morale, mais ne manque pas de grandeur dans son machiavélisme peu déguisé. Un mot nous y donnera le secret de toute la conduite de Cléopâtre :

Il m'imposa des lois, exigea des serments. Et moi j'accordai tout, pour obtenir du temps.

Temporiser, voilà sa devise. Au moment oii s'ouvre la scène III, nous la connaissons donc à merveille et savons de quoi elle est capable : très fine à la fois et très emportée, elle sait se contenir, mais ne sait pas se contenir longtemps. Son entretien vec Antiochus et Séleucus met plus en relief encore ce double Irait de son caractère.

Qu'a donc cet entretien de si invraisemblable? Quelle pro- lOSition peut nous surprendre, venant de Cléopâtre ? Corneille a vnil 1 qu'elle nous découvrît son ame, et nous permit d'y lire: i ous sommes désormais avertis; nous n'ignorons pas que

l. Acte V, «c. I.

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