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ii^TRODUCTION. 43

Après la réponse d'Antiochus et de Séleuciis s'ouvre un dis- cours tout nouveau, que Voltaire juge très inférieur au premier. Il est du moins pénétré d'un esprit tout différent. Ce n'est plus la politique, c'est la passion qui parle, et va compromettre l'œu- vre de la politique en se montrant trop tôt à découvert. Préoc- cupée d'une idée fixe, envahie tout entière par une haine aveu- gle, Cléopâtre croit trop promptement à la réalisation de ses désirs. En cela encore elle ressemble à Agrippine, et son erreur n'est pas moins excusable : la mère de Néron ressaisit — du moins elle se l'imagine — l'influence qu'elle a perdue; la mère d'Antiochus et de Séleucus a maintenu intacte jusqu'à présent son autorite maternelle et royale. Quoi d'étonnant à ce que ses illusions soientvivaces? Dèslors. elle nes'appartir~t plus. «Cléo- pâtre n'est pas adroite, dit Voltaire*, quoiqu'elle ie soit donnée pour une temme très habile; dèè qa'îile s'aperçoit que ses en- fants ont horreur de sa proposr,.on, elle ne doit pas insister. On ne persuade point un cnsas horrible par de la colère et des em- porteraentg. » C'?aÉ Iraiter Cléopâtre en diplomate qqi mesure son langage, pesé ses moindres mots dans la balance la plus fine, s'avance, s'arrête ou recule à son gré. Sans doute, au début de la scène, elle était maltresse d'elle-même et disposait fout en vue de l'effet à produire; mais la passion l'a bientôt reprise et pous- sée en avant; le voudrait-elle, elle ne pourrait revenir sur ses pas.

La vérité des situations et des caractères est donc respectée dans celte scène qu'on prétend si invraisemblable. Seulement, à partir de l'acte II, Cléopâtre, on peut le dire, ne revient plus guère à la raison. Déçue dans ses espérances, menacée dans se?' intérêts les plus chers, furieuse de rencontrer partout et toujouis sur son che-^^in cette Rodogune, dont ses fils sont les alliés et qui va deve, ir l'arbitre de son sort, elle prend la résolution de se délivrer tout à la fois et d'eux et d'elle. Au quatrième acte elle tente un suprême effort pour reconquérir son influence per- due; mais les ruses odieuses, autant qu'inutiles, par lesquelles elle prétend égarer et diviser les deux frères, nous semblent bien mesquines. A vrai dire, elle étale un luxe superflu de cruauté. Il semble qu'elle prenne plaisir, dans ces monologues dont elle abuse, à faire frissonner le spectateur na'i'f. C'est, dit Hallam*, une de ces furies dont Webster ou MarsLon aurait

1. Remarques, acte II, se. m.

%. InlroducH'.n lo Ihe lillerature of Etwap*; t. ni, ch. vi. Comme Lessing^ Uallam, qui d'ailleurs ne volt daos Corneille qu'un génie de tecond ordre, cri-

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