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INTRODUCTION. 53

La grande figure de Ciéopâlre et la ficure un peu plus effH- cée, mais aussi plus aimable, de Rodogune, s'imposent telle- ment à nous, que nous sommes tentés d'accorder à l'amour des deux princes une attention mal proportionnée à son importance dans le drame. C'est l'amour pourtnnt qui, après avoir fait le malheur de Rodogune, fait revivre en elle l'espérance, qui rend impuissantes les machinations de Cléo[iàtre contre elle. Si l'a- mour était absent, la proposition de Rodogune n'aurnit plus de raison d'être, et la facilité avec laquelle, elle y renonce serait inexplicable, si de ce combat entre l'amour et la haine l'amour ne sortait enfin vainqueur. N'est-ce pas l'amour du reste, autant que la piété filiale, qui rend si poignante la situation d'Antiochus au cinquième acte?

C'est aussi l'amour qui marque la principale différence entre les caractères des deux fils jumeaux de Cléopàtro, unis par tant de ressemblances morales. Tous deux aiment Rodogune, mais de façons diverses : l'amour de Séleucus semble plus impétueux, celui d'Antiochus plus paisible; ot pourtant, c'est l'amour impé- tueux qui se lasse le plus vite : la proposition de Rodogune est comme la pierre de touche oîi s'éprouve la solidité de leur affec- tion et aussi la fermeté de leur caractère. Antiochus se lamente : Séleucus s'emporte; l'un continue d'espérer, parce qu'il aime: l'autre désespère, parce qu'il a cessé d'aimer. Aucun d'eux ne s'interdit ni les madrigaux galants, ni les dissertations romanes- ques et froides. Mais la grande infériorité de Séleucus, c'est qu'il est amant malheureux. Antiochus, qui est aimé, n'a pas de peine à l'effacer, et Corneille a voulu qu'il l'effaçât. On devine que Rodogune est écrite à la veille de la Fronde : en ce temps oîi la politique et l'amour sont si étroitement associés, les amants heureux semblent destinés aux rôles diamants héroïques.

Antiochus sans doute n'a rien d'héroïque; mais son frère ne lui en est pas moins sacrifié. C'est lui qu'on nous présente tout d'abord; la généreuse proposition de Séleucus, nous savons qu'il l'a déjà conçue. Qu'il s'agisse d'un acte d'initiative ou de ré- flexion, c'est lui qui prend lesdévants et parle au nom de tous deux; c'est lui qui répondra au discours artificieux de Cléopàtre par quelques paroles simples et dignes* : il veut bien rejeter sur la fatalité les crimes que vient de rappeler Cléopàtre; mais on sent qu'il n'est pas dupe; Séleucus, moins froid, moins maître de lui.

��1 . C'est aussi lui qui. le premier, escose à RodOKtue leur eommane réM- lution.

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