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INTRODUCTION 39

verte du complot provoque la défaite et la mort de Plolomée et de ses ministres, punis à la fois pour avoir frappé Pompée et pour avoir voulu frapper César. Tout le reste n'est qu ac- cessoire. Est-il vrai, d'ailleurs, que la seconde phase de l'ac- tion soit si froide et que César ne coure aucun risque? Est-il vrai qu'on ne craigne pour personne et qu'on ne s'intéresse à personne? On craint pour César, qui peut seul veng-er Pom- pée, et l'on s'intéresse à l'issue d'un complot qui, associant étroitement l'intérêt de César à l'intérêt de Cornélie, précipite le châtiment de leurs communs ennemis. Assurément, le complot n'est ici qu'un incident, tandis que, dans Cinna, il est toute la pièce ; mais dire, avec Voltaire, que « dans Cinna les mesures des conjurés sont bien prises », c'est oublier qu'ils trouvent pourtant dans leurs rangs un traître, Maxime, dont ils ne pouvaient se défii^r. Comment les conjurés égyp- tiens se seraient-ils défiés de Corn'^lie, la prisonnière de César? Et comment César eût-il échappé à leurs coups, si Cornélie, par un élan de générosité inattendu, n'avait tout dévoilé? Encore une fois, il ne faut pas grossir l'importance de cet épi- sode ; mais il fait corps avec le reste.

Quelle pièce, dit-on, que celle dont le héros ne paraît point sur la scène ! II faut avouer — et Corneille l'avoue lui-même — qu'une telle pièce est assez « extraordinaire ». Auguste, héros visible de Cinna, ne paraît pas non plus dans le premier et dans le troisième acte, mais il domine les trois au res. Ici, au contraire, dès le second acte, la mort de Pompée nous est racontée. Mais qu'importe, si son grand nom remplit les deux premiers actes, si sa grande ombre plane sur les trois der- niers? Au premier, en effet, on voit préparer sa mort; au se- cond, on le voit mourir; au troisième, on le voit revivre en Cornélie. Cornélie, c'est encore Pompée, car c'est toujours la liberté romaine bravant la tyrannie ; c'est l'aristocratie ro- maine restée debout dans la délaite.

Corneille aimait à peindre ces personnages un peu abstraits en qui s'incarnent des idées. Déjà il avait peint Emilie, cette autre incarnation de Rome républicaine, et qui a le caractère un peu viril, le stoïcisme un peu raide, le langage un peu déclamatoire de Cornélie; toutes deux poursuivent la mort du tyran, et toutes deux entendent s'en réserver à elles seules la gloire ; mais Cornélie, jusqu'au bout, garde la tête haute en face de César. I^es deux Horaces personnifient l'amour de la patrie comme Pompée et Cornélie l'amour de la liberté. So- phonisbe, Eryxe, Viriate, c'est Carthage, l'Afrique, l'Espagne, menacées par Rome dans leur indépendance. Aux yeux des modernes, cette conception abstraite du drame paraîtra

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