Page:Corneille Théâtre Hémon tome3.djvu/56

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

40 POMPEE

froide; les contemporains de Corneille en étaient moins sur- pris, et Saint-Evremond voyait un mérite là où plus d'un aujourd'hui verrait un défaut : « De toutes les veuves qui ont jamais paru sur le théâtre, écrivait-il*, je n'aime à voir que la seule Cornélie, parce qu'au lieu de me faire imaginer des enfants sans père et une femme sans époux, mes sentiments tout romains rappellent dans mon esprit l'idée de l'ancienne Rome et du grand Pompée. »

M. Saint-Marc Girardin n'a guère fait que développer, en y ajoutant quelques réserves, l'opinion de Saint-Evremond : « Cornélie est une héroïne autant qu'une veuve. Vouée au culte d'une grande mémoire, et poursuivant partout la ven- geance, non seulement de la mort, mais de la défaite de Pompée, elle semble se souvenir plus du héros qui fut le rival de César que du mari qu'elle a perdu... Elle est le représen- tant et l'héritière d'une grande cause et d'un grand nom, plu- tôt encore qu'elle n'est une veuve, patiente et Adèle... Voilà Cornélie, voilà la veuve telle que Corneille a voulu la repré- senter. Sa douleur s'unit à ses passions de parti. Pompée ne lui a pas laissé une mémoire à pleurer, mais un drapeau à soutenir. C'est par là que son amour conjugal s'efface, pour ainsi dire, dans les obligations mêmes qu'il lui impose ^. » Ainsi, tandis que nos dramaturges contemporains s'appliquent avant tout à saisir les traits individuels, à montrer les carac- tères sous tous leurs aspects, même fugitifs, même exceptionr nels, à donner en un mot une physionomie personnelle à leurs héros, Corneille aime à s'élever au-dessus du particulier, à généraliser et à idéaliser tout, à peindre des types en qui vit une idée. Il ne tenait qu'à lui de nous tracer un por- trait plus individuel de Cornélie, car le portrait était tout fait chez Plutarque,

« Pompeius, retournant en la vilie, espousa Cornelia, la fille de Metellus Scipion, non flUe, ains de n'aguere demeu- rée veusve de Publius Crassus le fils, qui fut occis par les Parthes, auquel elle avoit esté mariée la première fois. Geste dame avoit beaucoup de grâces pour attraire un homme à l'aimer, outre celles de sa beauté : car elle estoit honneste- ment exercitée aux lettres, bien apprinse à jouer de la lyre, et sçavante en la géométrie, et si prenoit plaisir à ouyr pro- pos de la philosophie, non point en vain ny sans fruict; mais, qui plus est, elle n'estoit point pour tout cela ny fâcheuse, ny glorieuse, comme le deviennent ordinairement les jeunes

1, fiisunacion tur la tragédie do Racine intitulée Alxahdbee le GaA>iB(1666.) t. Saiot>Marc Oiriu-dia, Cowt de littérature dramatique, IV, 6S.

�� �