Page:Corneille Théâtre Hémon tome4.djvu/153

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INTRODUCTION IH

tance. Nous y perdons de beaux coups d'épée ou de poignard, des incidents émouvants, des détails pittoresques. j\Iais quel spectacle que celui de ces deux hommes armés de la seule force morale, qui se mesurent du regard, se connaissent, s'es- timent en se combattant, et, de façons bien diverses, servent leur patrie !

Ainsi la grandeur romaine n'est point « écrasée » systéma- tiquement dans iTtcôHaV/e, et Corneille n'a point « voulu en faire Justice », quoi que prétende La Harpe. Il a seulement changé de point de vue, et a considéré les événements du coté des ennemis de Rome, mais sans prendre parti contre elle autant que le veulent ceux qui l'accuseraient volonfiers de dé- sertion. Si entre tant d'ennemis du nom romain il a choisi l'un des moins célèbres, c'est précisément que l'hisloire plus obs- cure de ce héros se prêtait mieux au dessein qu'il avait conçu : peindre la politique des Romains au dehors. Comment peindre cette politique et ses multiplt-s artifices, si on la mettait aux prises avec un adversaire déjà déclaré, ouvertement haineux, militant, avec un soldat comme Annibal ou Milhridate?

Le nom d'Aimibal surtout s'olïrait ici tout d'abord à l'es- prit, et Corneille n'a pu se résigner à l'écarter. Par un ana- chronisme de trente-six ans, il a fait .Nicomède disciple d'An- nibal « pour lui prêter plus de valeur et plus de fierté contre les Romains ». Il a raison de croire et de dire que ce rap- prochement hardi n'est pas d'un petit ornement à son ouvrage : quelque chose de la gloire Ju maître rejaillit sur l'élève. Hé- ritier des haines carthaginoises, Nicomède est mieux l'ait pour en être l'incarnation dramatique. Annibal a porté malheur à tous ceux qui ont essayé de le faire revivre sur la scène. ]SUannib(il de Nicolas de Montreux (1,')84) n'a pas été im- primé; celui de Desmarets, un demi-siècle après, resta im- parfait après la mort de Richelieu, qui en aurait eu le dou- teux honneur. Qui connaît ÏAnnibal de Scudéry (1631)? ou la tra^i-comédie écrite par Jean le Royer, sieur de Prade (1649)? Ces divers essais prouvent, du moins, que le sou- venir d'Annibal était plus vivant que jamais au moment où Corneille écrivit sa pièce. Plus tard ce souvenir tenta Thomas Corneille lui-même; mais sa Mort d'Annibitl (16 7i)) est oubliée. Ne parlons point des tragédies du P. Colonia de Lyon (1697), ou du Languedocien Riuperous, au déluit du xviii'= siècle, l'n seul Annibal, celui de Marivaux (1720) *, prouverait suffisamment et le danger d'un tel sujet et la su-

1. On en trouvera l'analyse dans l'eir-llont ■ thèse de M. Larroiinn^t : Marivaux, êa vie et ses œuvres

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