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152 NICOMÈDE

autres le soin de glorifier ses conquêtes. Ce ne sera point sa faute, en vérité, siPrusias oublie qu'il lui doit trois sceptres : ces trois sceptres, il les agite victorieusement devant les yeux de l'ingrat qui ne voudrait pas trop s'en souvenir. Lui si clair- voyant d'ordinaire, il manque ici d'adresse, comme ailleurs de réserve. Observons pourtant que ces bruyants éclats de voix sont rares. Son indignation même nous émeut d'autant plus qu'elle est plus contenue. Une seule fois elle fait explo- sion librement; mais c'est qu'il n'a plus de ménagements à garder envers ce père qui vend son tils aux Romains.

Attale mérile-t-il son dédain autant que Prusias? A de cer- tains moments le glorieux aîné traite si rudement son jeune frère, qu'on est tenté de prendre en pitié la victime de celte ironie impitoyable. « On est *"àct3é, dit FonlenelleS que Mco- raède ait si mal connu Attale et qu'il ait eu tant de mépris pour un homme qui le méritait si peu; de plus, c'est une es- pèce de honte pour Nicomède d'être tiré d'affaire par celui dont il faisait si peu de cas. » Mais cette impression est plu- tôt celle du lecteur déjà instruit du dénouement, et qui prend volontiers le parti d'Àttale, parce qu'il sait Altale généreux. Au début de l'action, ni les spectateurs ni à plus forte raison Nicomède ne peuvent et ne doivent s'intéresser au protégé de Flaminius. Comment prendre au sérieux ce prince encore si peu viril, toujours prêt k s'abriter derrière faulorilé de son père ou celle de Flaminius; cet amant qui fait sonner si pué- rilement aux oreilles de Laodice le nom de Prusias qu'elle mé- prise et de Rome qu'elle hait, qui prétend se faire aimer par décret : « Et si le roi le veut? » cet otage qui se garde d'avoir une volonté personnelle; cet enfant gâté qui tantôt s'épanche en confidences imprudentes, tantôt s'emporte dés qu'on le contredit, passant des illusions les plus candides aux étonnements les plus ingénus? Arsinoé, sans doute, rend dès lors hommage à sa vertu en ne le mettant pas dans la con- fidence des projets criminels dont il lesle l'instrument incons- cient : elle se défie de son honnêteté, et elle a raison : car si Altale est gâté, il n'est pas corrompu ; peut-être ne se délie- t-elle pas moins de sa gaucherie, et elle n'a pas tort davan- tage : car Attale, en dépit de sa bonne volonté, serait un allié fort compromettant. Mais Mcomède les croit complices.

Dans la situation où tous deux sont placés, ce qui nous rend aimable le caractère d'Attale est précisément ce qui le rend suspect à Nicomède. Quand celui-ci s'est fait reconnaître, au premier acte, son frère, confus, lui témoigne le respect le^lus

1. lié/lexions sur la poétique du théâtre.

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