Page:Corneille Théâtre Hémon tome4.djvu/182

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lIO NiCOMÈDÈ

tend pas bien, répond Geoffroy ', comment la bassesse repré- sente les premiers mouvemenls du cœur d'un liéros; mais il est vrai de dire qu'il n'}' a vérilalilement de- bas dans Prusias que la crainte que lui inspirent les victoires de son fils, et cependant ce mouvement est si nature! que l.ouis XIV lui- même n'en eût peut-être pas été exempt si iMonsoiimeur ou le duc de Bourgogne avaient été des héros lels que Nicomède. Quanta son respect et à sa complaisance pour les Romains, elle n'est pas à la vérité brillante au théâtre, mais elle n'a rien de bas : c'est prudence, c'est néccssilé; il assure parla le repos et le bonheur de ses peuples. S'il élait plus fier et s'il voulait cire un roi indépcndanl, ce serait un mauvais roi, qui préférerait sa vanité au sang de ses sujets. Ainsi, quoi- que Prusias fasse rire quand il dit :

Ah 1 ne me brouillez pas avec la République !

il a raison de craindre celle brouillerie ; c'est un trait juste et vrai, qui peint l'homme, et ce trait ressemble plus à la sagesse qu'à la bassesse. » Quoi qu'on fasse pourtant, on aura de la peine à gagner cette cause, et Corneille sans doute n'eût pas voulu la voir plaidée ainsi : car si Prusias est un sage, iNicomède est un fou qui, pour satisfaire un orgueil égoïste, expose son pays à de grands malheurs; Flaminius a raison contre lui, el la pièce n'a plus de sens. Nous aimons mieux GeoITroy lorsqu'il écrit avec plus de discrétion : « Ce personnage assurément n'est ni héroïque ni tragique, mais c'est un caractère vrai, instructif et moral. » Oui, dans la réalité, il y a plus de Prusias que de Mcomèdes. Oui, la bassesse de Prusias est fort naturelle, elson ingratitude fort humaine. Oui, il était dramatique de placer ce pèie à côté de ce fils, ne fût-ce que pour mieux faire ressortir parla médiocrité de l'un l'héroïsme idéal de l'autre, ne fût-ce que pour opposer l'homme tel qu'il est trop souvent à l'homme tel qu'il devrait être.

Corneille n'a voulu faire de Prusias ni un tyran de mélo- drame, ni un bouffon de farce vulgaire. Il a tempéré le mépris par le rire, ou plutôt par le sourire : car le rire n'est jamais bruyant, et Prusias n'est jamais un pur grotesque.

Père, il est méprisable ; roi, il est tantôt méprisable, tantôt ridicule; mari, il est ridicule toujours. L'art do Corneille a été de fondre ces éléments, contradictoires en apparence, et

1. Cours de littérature dramatique.

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