Page:Corneille Théâtre Hémon tome4.djvu/190

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l^ NiCOMÈDE

blera généreuse. Il aime aussi peu qu'on évoque le souvenir d'Annibal, cet hôte compromettant qui a failli attirer les fou- dres romaines sur la Bilhynie : elle reviendra plusieurs fois à ce souvenir et, chaque fois, ne manquera pas de rappeler qu'Annibal a Nicomèdepour disciple, pour héritier de sa haine et conlinualeur de sa politique néfaste. Tout cela pressé, cha- leureux, sincère d'accent, avec la conviction d'une grande comédienne qui se surprend elle-même parfois à éprouver l'émotion qu'elle inspire. Tout est étudié, et tout semble cou- ler de source. C'est la sécurité de l'Etat, c'est le repos de Prusias, c'est la vie d'Atlale et d'Arsinoé qui sont enjeu; elle le dit ou le fait entendre, et on la croit. Le moyen de ne pas la croire ? Et Prusias attendri, conquis d'avance, jette à INicomède ce plaisant reproche :

Ingrat ! que peux-tu dire ' ?

On croit entendre Orgon apostrophant Damis, l'accusateur audacieux de ce bon M. Tartufe :

Ton cœur ne se rend point, Ingrat 2 1

La comparaison s'impose : car Tartufe est un fils d'Arsinoé tombé dans la bourgeoisie. Mais Arsinoé ne fait pas peur au même degré'. Chose curieuse! c'est la comédie qui est poussée au drame, tandis que la tragédie s'achève sur un sourire. Plus que Tartufe, le Malade imaginaire rappellerait certaines scènes de Nicomède. 11 y a quelques rapports entre Argan et ce Prusias qui s'extasie, avec une sorte de dévotion conjugale, sur tout ce que dit et tout ce que fait sa femme; il y en a beaucoup entre I3éline et Arsinoé. Serrée de près par IS'icomède, dans la grande scène du quatrième acte, Arsinoé sort d'embarras en s'attendrissant à propos, et remplace les arguments par les larmes, dont l'effet pathétique est sûr :

ARSINOÉ.

Je n'aime point si mal que de ne vous pas suivre, Sitôt qu'entre mes bras vous cesserez de vivre; Et sur votre tombeau mes premières douleurs Verseront tout ensemble et mon sang et mes pleurs.

1. Nicomède, IV, 2.

2. Tartufe, III, 6.

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