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le plus blanc », sur le couvercle duquel vient s’abattre le corbeau atteint par la flèche de Millo, roi de Frattombrosa. De plus, il fait intervenir dans cet épisode un ogre (orco), qui reproche au roi de lui avoir tué « son corbeau » : Millo sera frappé d’une malédiction terrible, s’il ne trouve pas une femme blanche comme le marbre, vermeille comme le sang du corbeau et aux cheveux noirs comme ses ailes.

Dans cette pièce de Gozzi, ce qui a été « dramatisé », c’est certainement le conte du Pentamerone lui-même, et non, comme dans une autre des Fiaabe teatrali, étudiée ci-dessus[1], un conte oral, de même type que celui de Basile.

Avec le récit soi-disant historique, fixé par écrit chez les Mongols au xviie siècle, nous avons constaté l’existence de notre thème du Sang sur la neige dans l’Asie centrale : un conte oral va confirmer ce fait.

Chez les Tarantchi, petite population turco-tatare musulmane, habitant la vallée du Haut-Ili, dans le Turkestan russe, M. Radloff a recueilli un conte dont voici le début[2] :

Il y avait autrefois un jeune homme appelé Bosy Körpäsch. Un jour qu’il neigeait, il abattit d’un coup de flèche une corneille ; le sang de la corneille coula sur la neige et la teignit de rouge. Une vieille femme se trouvait là ; le jeune homme lui dit : « Je voudrais épouser une jeune fille qui soit aussi blanche que cette neige et dont les joues soient aussi rouges que ce sang. » La vieille lui répondit : « Va dans telle ville ; il y a là une jeune fille qui est comme tu dis ; tu peux la demander en mariage. »

Dans l’idéal de beauté que formule le jeune chasseur tarantchi, manque le troisième terme de comparaison, les cheveux noirs comme le plumage de l’oiseau saignant sur la neige ; il manquait déjà dans le livre mongol où, du reste, c’est un lièvre qui est tué, et non un corbeau ou autre oiseau du même genre[3].

  1. Revue, septembre 1913, p. 390 et suiv. ; — p. 76 et suiv. du tiré à part.
  2. W. Radloff, Proben der Volkslitteratur der nordischen türkischen Stæmme t. VI (St-Pétersbourg, 1886), p. 211.
  3. Ce trait du lièvre est très rare. Les remarques de MM. Boite et Polivka, sur le n° 53 de Grimm ne mentionnent, comme le présentant, que deux ou trois contes celtiques (p. 462). — Nous devons dire que ces remarques nous ont fourni les plus utiles indications, et il en est de même d’une note très substantielle de Reinhold Koehler dans un de ses travaux de jeunesse, publié en 1865 (Weimarer Beitræge für Litteratur und Kunst, p. 181) et reproduit après sa mort dans ses Aufsætze über Mærchen und Volkslieder (Berlin, 1891, p. 29).