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Dans la forme primitive du conte, l’égorgement des porcs avait-il lieu dans la coulisse, pour ainsi dire, « pendant que la princesse dormait » ? Nous en doutons. En tout cas, ce conte roumain fait bien pendant au conte irlandais.

Cette variante roumano-irlandaise est très curieuse, comme adaptation du thème que nous étudions, à un personnage féminin.

Les femmes ne vont guère à la chasse ; aussi n’ont-elles guère l’occasion de voir une pièce de gibier ou un corbeau, une corneille, tombant ensanglantés sur la neige, ou simplement sur le sol. L’arrangeur (nous considérons surtout le conte irlandais) a donc laissé son héroïne à la maison, où elle se divertit comme elle peut à contempler de sa fenêtre le monde extérieur : c’est de là qu’à défaut du sang d’un corbeau, elle voit le sang d’un veau couler sur la neige. Mais le veau ne fournit pas la troisième couleur, le noir. L’arrangeur l’ira chercher dans la variante où l’on chasse, et il juxtaposera au veau égorgé le corbeau, non point un corbeau mort (dont il ne saurait comment motiver l’introduction dans le récit), mais un corbeau bien vivant, qu’attire le sang du veau… Un vrai rapiéçage !

Le très intéressant conte espagnol de l’Estramadure, que nous avons longuement étudié dans la Monographie B (Revue, juillet 1914, p. 243 ; — p. 144 du tiré à part), adapte, lui aussi, notre thème à un personnage féminin, et de la même façon, mais, ce nous semble, moins maladroitement. On se rappellera peut-être cet épisode :

Un jour que la neige couvre toute la campagne, une princesse voit de sa fenêtre un berger égorger un agneau, dont le sang teint la neige en rouge, et, en même temps, elle entend un petit berger chanter ceci : « Le blanc avec l’incarnat, — Que cela fait bien ! — C’est comme le roi qui dormira — Et ne se réveillera pas, — Jusqu’au matin — Du Seigneur Saint Jean. »

Rouge et blanc, ce sont, des trois couleurs, les seules que pouvaient donner l’agneau égorgé sur la neige ; on a eu le bon goût (ici, comme dans le conte roumain) de ne pas vouloir à toute force, par un souvenir des contes du premier groupe, y ajouter le noir. À remarquer aussi que ce n’est pas la vue du sang sur la neige qui fait travailler l’imagination de la princesse ; c’est la chanson du petit berger à propos de cette neige et de ce sang, suivie des explications que la princesse se fait donner par l’enfant. Et ce que cette chanson et ces explications éveillent chez la princesse, ce