Page:Cosquin - Les Contes indiens et l’Occident, 1922.djvu/244

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 232 —


du conte allemand ; mais elle ne pèle pas une pomme et ne se fait pas une coupure au doigt ; elle est prise d’un saignement de nez (sic).

Étant ainsi obligée de descendre et s’appuyant à une haie, elle considère son sang tout rouge sur la neige toute blanche, et elle se dit : « J’ai douze fils et point de fille ; si j’avais une fille, aussi blanche que la neige et aussi rouge que le sang, je me soucierai bien de mes fils ! » Soudain une vieille troll (sorte d’être malfaisant) est là devant la reine, et lui dit : « Tu auras une fille blanche comme neige et rouge comme sang ; mais tes fils m’appartiendront. »

C’est bien là, au fond, l’introduction du conte irlandais des Douze Oies sauvages, cité plus haut (dans le conte norvégien, les douze frères sont changés en douze canards sauvages) ; seulement le saignement de nez remplace, d’une façon très prosaïque, l’égorgement du veau, déjà fort peu poétique.

Il n’est pas étonnant que, de la Norvège, ce trait du saignement de nez ait voyagé jusqu’en Islande avec tant d’autres contes et traits de contes. (Dans le conte islandais que nous connaissons, il ne se rattache pas au même thème principal que dans le conte norvégien)[1]. — Il existe aussi, paraît-il, en Danemark (Bolte-Polivka, sur Grimm, n° 53).

De l’existence de ce sous-thème baroque dans tous ces pays scandinaves, faut-il conclure que ce serait là que se serait effectuée cette modification si particulière du thème ? Peut-être hésitera-t-on à se prononcer, quand on aura connaissance de l’introduction suivante d’un conte serbe[2] :

Le fils d’un empereur est à la chasse. Pendant qu’il marche sur la neige, il se met à saigner du nez, et, en voyant comme le sang rouge se détache bien sur la neige blanche, il se dit : « Ah ! s’il m’était donné d’avoir pour femme une jeune fille aussi blanche que la neige et aussi rouge que le sang ! » Il rencontre ensuite une vieille femme et lui demande s’il y a quelque part un telle jeune fille, et la vieille lui indique où il peut en trouver une.

Le petit détail de la chasse, parfaitement inutile ici, est évidemment un souvenir du thème que nous avons examiné en premier lieu.

  1. Adeline Rittershaus, Die neuislændischen Volksmærchen (Halle, 1902), p. 152
  2. Vouk Stefanovitch Karadjitch, op. cit., n° 19.