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gols, turco-tartares, où figure également cet épisode du sang sur la neige, peut-être n’aurait-il pas jugé si simple le problème de l’origine.

Essayons, tout au moins, de poser exactement les divers termes de ce problème.

Que l’on se place aux deux points extrêmes où a été constatée l’existence de l’épisode du corbeau ou de la pièce de gibier saignant sur la neige : Asie centrale (Mongols et Tarantchi) et côte barbaresque (Maures d’Algérie)[1]. On sait, d’une part, que les Tarantchi et les Mongols ont reçu, les premiers par l’intermédiaire des Persans, les seconds par celui des Tibétains, toute sorte de produits de l’imagination indienne[2] ; d’autre part, que ces mêmes produits, arrivés chez les Arabes par l’intermédiaire de la Perse, ont été charriés jusqu’à l’extrémité de la côte barbaresque par le flot de la conquête musulmane. Le fait, pour un conte ou pour un trait de conte, de se rencontrer à la fois dans ces deux régions, équivaut en réalité à un certificat de provenance indienne. Il serait donc tout naturel de conclure que l’épisode du sang sur la neige viendrait, lui aussi, de l’Inde.

Ici, certainement, s’élèvera une objection qui, à première vue, peut paraître sérieuse : L’Inde n’est-elle pas un pays tropical, où la neige est inconnue ?

Il importe, sur ce sujet, de bien préciser et distinguer.

Et d’abord nous rappellerons que le nom de l’Himâlaya signifie « séjour de la neige » ; il s’appelle aussi Himavat, « le neigeux ».

Que l’on consulte les indianistes ; ils vous diront que la neige est chose familière aux écrivains de l’Inde. Décrire l’éclat des neiges de la montagne sous le soleil ou au clair de lune est un thème banal, lequel, il est vrai, s’est, ce semble, transmis de textes en textes

  1. Notons cette particularité curieuse que, et dans l’Asie centrale et chez les Maures d’Algérie, coexistent le récit où le sang est celui d’un corbeau ou d’une corneille, et le récit où ce qui saigne, c’est une pièce de gibier (lièvre chez les Mongols, gazelle chez les Maures).
  2. Les Tarantchi du Turkestan tiennent des Persans toute une littérature d’imagination (voir F. Grenard, Spécimens de la littérature moderne du Turkestan chinois, dans le Journal Asiatique, 9e série, t. XIII, année 1894, p. 81 et suiv.). — Quant aux Mongols, nous ne pouvons que renvoyer à un de nos précédents travaux dans cette Revue, Les Mongols et leur prétendu rôle dans la transmission des contes indiens vers l’Occident européen (année 1912, pp. 339-341 ; pp. 3-5 du tiré à part).