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LE SÉRUM QUI TUE

RENÉ : — Mais, dis le moi donc !… (On entend le bruit d’une voiture qui arrive. René se lève et court à la fenêtre.) C’est lui !… (Il sort).


Scène XX

ANDRÉE, seule.

ANDRÉE : (Elle se lève, le visage anxieux.) Oh ! c’est lui… c’est lui ! Que vient-il faire ici ! Me poursuivra-t-il donc toujours ?… Ah ! comme il me fait horreur !…

Me fera-t-il encore ses propositions horribles comme il l’a fait après la mort de sa femme et avant mon mariage. Pauvre Cécile !… elle est bien heureuse de ne plus subir le joug de cet homme si misérable. C’est horrible !… Oh ! Dieu !, pourquoi une telle épreuve ? S’il fallait que… (Elle s’arrête car René entre avec le Dr  DesNoyers. Celui-ci a effroyablement changé. Son visage a maigri, ses joues sont noires tant elles sont creuses, ses yeux sont deux trous où brillent deux yeux ardents ; sa bouche a le rictus de la douleur et sur son front pèse le remords et l’amour inassouvi qui le rongent. Il a des tics nerveux, par exemple, la pesée du pouce comme s’il poussait une seringue. Il essuie toujours ses mains comme s’il voulait y enlever du sang qui ne voudrait pas disparaître. D’un coup d’œil, Andrée a vu tout cela.) Oh…


Scène XXI

ANDRÉE, RENÉ, JACQUES.

RENÉ : — Ma chère Andrée, voici notre pauvre cher docteur. Il est bien changé, il faudra le soigner et le dorloter. N’est-ce pas docteur que vous aimerez à être dorloté ?

JACQUES : (Avec une voix lente et caverneuse.) Oh ! oui, je suis si malheureux ! Bonsoir, madame. (Saluant Andrée avec componction et d’un salut bien bas.) Permettez-moi de vous présenter mes hommages. (Andrée répond par un petit salut de la tête).

RENÉ : — Je vais aller préparer ta chambre, mon cher Jacques. C’est celle qui a vue sur la montagne. Tu l’aimeras car le soleil y entre à flots le matin et le point de vue est merveilleux. (Pendant ce temps, l’orage a monté dans le ciel. Les éclairs se succèdent en une lueur fulgurante et les roulements du tonnerre deviennent de plus en plus sonores et fréquents. Le docteur en entendant ces grondements de tonnerre montre des signes de crainte et regarde souvent du côté de la fenêtre.) Je crois que l’orage va être très violent, ce soir. Tu ne crains pas le tonnerre, mon vieux Jacques ?

JACQUES : — Je ne crains pas le tonnerre, mais je sens mes nerfs si fatigués, ce soir.

RENÉ : — Une bonne nuit de sommeil te fera du bien. Je reviens. (Il sort).


Scène XXI

ANDRÉE, JACQUES.

L’orage éclate pour de bon. La grêle crépite, le tonnerre roule en grondements sonores dans la montagne, les éclairs sillonnent la nue. Cet orage tombe sur les nerfs du docteur qui montre des signes de folie. Il n’a dit mot à Andrée encore. Il la regarde, assise dans le grand fauteuil, craintive, tremblante, n’osant faire un mouvement et le regardant avec de grands yeux remplis de frayeur. Une lueur de passion s’allume dans les yeux du docteur. Andrée a peur. Le docteur va de la fenêtre au milieu de la pièce, par pas saccadés, ses tics nerveux plus forts que jamais. Il se décide enfin à parler.

JACQUES : — Si vous saviez comme je souffre ! Ma tête ! oh ! ma tête ! comme elle me fait mal. Je suis ainsi que dans un gouffre. Je ne vois que du sang autour de moi, des cadavres qui me narguent. Ah ! fuyez horrible image ! Andrée ! Andrée ! Vous le savez ! Je vous aime ! Je vous adore ! Je vous veux ! Je vous désire plus que tout au monde ! Vous seule, oui vous seule pouvez m’apporter le soulagement et l’apaisement dont j’ai tant besoin. Ayez pitié de moi, ayez pitié de moi, Andrée… Connaissez-vous l’amour dont je souffre. Oui, vous le savez et vous me repoussez. Oh ! comme vous êtes cruelle ! Ne me repoussez pas ! Je vous aime tant ! tant ! tant ! Je ne vois que votre image, votre image chérie, adorée, votre image qui m’a rendu fou de passion et de désir. Votre image mêlée aux fantômes qui me poursuivent. Andrée ! Andrée ! Si vous saviez le remord qui me ronge ! Le remord qui va me rendre fou ! Si je souffre ainsi, c’est pour vous, pour vous seule. C’est pour vous que j’ai tué. Oui, moi, j’ai tué ! J’ai tué ma femme qui m’aimait tant ! Mais c’est pour vous seule que je l’ai fait, pour obtenir l’amour qui brûle mes veines, qui me ronge jusqu’au cœur, jusqu’à l’âme. Vous avez