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LE SÉRUM QUI TUE


Scène XI

CÉCILE, JACQUES.

CÉCILE : — Te voilà !

JACQUES : — Là ! tout est prêt ! Toi aussi ?

CÉCILE : — Mais oui !

(Le docteur trempe la seringue dans le liquide qu’il soutire de la bouteille. Il se dirige vers sa femme, s’arrête et la regarde d’un air grave.

JACQUES : — C’est l’expérience de ta vie comme de la mienne que l’on fait là ! Avec ce sérum, ou mon rêve se réalisera ou tout sera à recommencer !

CÉCILE : — Tu réussiras, Jacques, j’en suis certaine.

(Le docteur prend le bras de sa femme et choisissant l’endroit, un peu au-dessus du coude, il la pique avec sa seringue de laquelle il pousse le liquide dans les veines de sa femme. Il recule et regarde sa femme curieusement.)

JACQUES : — Là, nous allons voir ! Tu peux t’asseoir. (Cécile s’assied. Jacques dépose sa seringue et sa bouteille dans le fond d’un tiroir. Il reste debout et regarde sa femme anxieusement.)

CÉCILE : — Je ne ressens rien encore, si ce n’est la douleur de la piqûre. Ça me fait mal dans le bras.

JACQUES : — Ce n’est rien. C’est la douleur ordinaire de toute piqûre. Tu vas voir, ça va se passer bientôt, cette douleur. (À part). C’est le commencement ! Aurai-je donc réussi ?

(Cécile commence à montrer des signes de malaise. Elle porte ses mains à sa poitrine. Puis à sa tête. Elle se lève, rigide, les yeux fixes, les mains crispées à sa poitrine.)

CÉCILE : — Ton sérum, Jacques  ! ton sérum ! Oh ! ce qu’il me fait mal ! (Elle se laboure la poitrine de ses ongles ; un rictus lui tord la lèvre. Une grimace affreuse la défigure complètement. C’est la crise épileptique qui commence. Le docteur, qui l’examine avec anxiété, debout, les deux mains appuyées sur la table, le corps un peu penché en avant, suit chaque phase de la crise qu’il reconnaît bien. Cécile commence à arpenter la pièce avec fièvre. Elle délire. Des phrases incohérentes lui sortent de la bouche.) A.a.a.h ! A-a-a-h !… Jacques, ton sérum tu sais… ton sérum… il va t’apporter la gloire ! A-a-a-h !… elle est venue… tu sais… et puis… elle m’a tout dit… mais c’est du chantage… elle en mourra ! elle en mourra !… ne crains rien… ils sont tous jaloux… (elle se promène toujours)… fais attention… tous te guettent… ils te regardent… ils t’ont vu… là !… a-a-a-h !… là ! Je brûle… je brûle… oh !… Jacques, que ça me fait mal… je t’ai toujours aimé… tu sais !… j’étais ta petite colombe craintive… je t’adorais… tu m’aimais… comme nous étions heureux !… a-a-a-h !… mais ils sont venus… ils ont tout vu… et c’est fini ! fini ! fini !… (Elle est folle, complètement folle ! Elle a des gestes brefs, nerveux, épileptiques. Elle s’arrache les cheveux. Son corps se tord sous la douleur. Elle s’arrête, brusquement, les bras aux mains crispées tendus vers son mari. Un éclair de raison lui a révélé la vérité.) Ah ! misérable… assassin !… tu m’as tuée… oui, c’est toi qui m’as tuée… avec ton sérum empoisonné ! oui… je le sais !… empoisonné !… Je comprends maintenant !… C’est pour l’avoir… elle… pour l’avoir ! assassin… non ! tu ne l’auras pas !… je vais mourir par ta faute… mais tu vas mourir avec moi… assassin… que j’aimais… tant !… oh ! mais je te hais… maintenant… je voudrais te faire endurer mille tortures… oui !… oui !… oui !… tu vas mourir avec moi !… (Cécile s’élance sur son mari, elle va le labourer de ses ongles… mais la crise est trop forte. Elle s’arrête. La douleur lui tenaille la poitrine. Son sang la fouette. Elle devient complètement épileptique et après quelques soubresauts qui la font reculer avec des rictus horribles de la face, elle s’écroule aux pieds de Jacques qui la regarde comme le docteur suit les périodes d’une crise sur l’animal qui lui sert d’expérimentation. Elle gît par terre. Quelques soubresauts encore…) Jacques !… Jacques ! (D’une voix de plus en plus faible). Je… t’aimais… tant !… (Quelques soubresauts encore, un grand cri). Ja.-a.-a-cques ! (…et elle est morte.)

JACQUES : — Enfin ! je suis libre ! (Il se baisse, écoute le cœur de sa femme.) Elle est bien morte… il faut maintenant s’occuper du reste… (Il prend l’appareil téléphonique.) Allô ! Allô !  ! Ouest 2647, s’il-vous-plaît : Allô ! René… c’est Jacques ! J’ai une mauvaise nouvelle à t’apprendre… ma femme est morte… oui… elle en vient… merci beaucoup… peut-tu venir immédiatement ?… oui… bien… merci beaucoup, René… (Il ferme l’appareil,