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II. — L’IMBROGLIO HONGROIS

Il est impossible de n’être point frappé, au premier coup d’œil jeté sur une carte, par la configuration géographique de la Hongrie. On dirait une forteresse. Les Karpathes, les Alpes transylvaniennes, les montagnes de Serbie, de Bosnie, de Slavonie, de Styrie lui font une ceinture de remparts ; au centre s’étend une esplanade immense, semée de villes, abondamment pourvue d’eau, divisée par le Danube et la Theiss en trois parties presque égales et ouvrant à ses deux extrémités par les deux ponts-levis de Presbourg et des Portes-de-Fer, d’une part sur le monde occidental et de l’autre sur le monde oriental. Telle est la contrée privilégiée que les Magyars envahirent au IXe siècle sous la conduite d’Arpad et dans laquelle ils s’établirent. On sait comment leur roi Étienne, fils de Geza, les initia au christianisme ; comment la dynastie d’Arpad s’étant éteinte avec André III en 1339, le trône devint électif ; comment, après les luttes légendaires de Hunyadi et de Mathias Corvin contre les Turcs, la prospérité qui avait atteint son apogée avec Louis Ier dit le Grand, commença de décliner sous Wladislas, qui réunissait alors les trois couronnes de Bohême, de Pologne et de Hongrie ; comment, en 1526, Louis II mourut à Mohacz avec 500 magnats et 30,000 guerriers, ouvrant la Hongrie à Soliman, qui la ravagea ; comment, enfin, Ferdinand d’Autriche, frère de Charles-Quint et beau-frère de Louis II par sa femme, Anne Jagellon, recueillit son héritage et, élu par la diète de Presbourg, prêta le serment traditionnel des rois de Hongrie.

Ce serment consacrait de précieuses libertés. Dès la fin du XIme siècle, le roi Béla Ier avait organisé ces fameux comitats qui ne constituaient rien moins que de petites républiques municipales, présidées, mais sans pouvoir effectif, par le « comte suprême » représentant du Roi et nommé par lui. Ces assemblées où se discutaient ( en latin, langue officielle de l’État ) toutes les affaires du comitat, comprenaient les nobles, les délégués des petites villes, les ministres du culte et, en général, tous ceux qui exerçaient des professions libérales ; on y élisait les fonctionnaires, juges, notaires, receveurs des finances ; chacun y parlait librement. « C’est là, dit M. Asseline, dans son Histoire de l’Autriche, que se formait ce singulier type magyar, fougueux comme un cavalier d’Attila et subtil comme un légiste de Byzance, en appelant avec une égale passion aux sabres frais émoulus et aux parchemins poussiéreux, orgueilleux de sa patrie au point de mépriser le reste de l’humanité, poussant à l’extrême les magnificences et les égoïsmes du patriotisme, enivré de la liberté jusqu’au délire, mais ne la souhaitant que pour sa race et ne se souciant nullement de cette puissance d’expansion qui fait des progrès d’un peuple le patrimoine de tous les autres. » — « On dirait, ajoute spirituellement