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CHAPITRE V

Les Latins

I. — Sénèque


Une philosophie « ondoyante et diverse » ; des réflexions tour à tour profondes et familières sur les circonstances ordinaires de la vie, une conversation « à pièces décousues[1] » dont les fragments se présentaient comme une espèce de menue monnaie de la sagesse, « sable sans chaux » comme disait Claude, mais dont chacun pouvait emporter un grain : voilà plus qu’il ne fallait pour assurer pendant longtemps à Sénèque des lecteurs nombreux et divers. Ce raisonneur qui s’analysait tout le temps et dédaignait tout sauf les idées capables de former l’homme, avait particulièrement trop d’affinités avec l’esprit français classique pour ne pas se prêter à son élaboration : aussi — sans même parler de l’art dramatique — n’y a-t-il peut-être pas un ancien qui se trouve plus exactement à toutes les sources du classicisme : chez Montaigne qui y puise « comme les Danaïdes[2] », chez Calvin qui a commencé par commenter le De Clementia, chez Malherbe surtout et ses contemporains. « Sans Sénèque, disait déjà Colletet, Bertaut n’eût jamais si bien fait résonner les muses et n’eût aussi jamais touché nos esprits de si vives ni de si fréquentes pointes[3] ». Malherbe non plus, sans Sénèque, ne serait

  1. Montaigne, Essais, II, 10.
  2. Ibid., I, 24.
  3. Colletet, Discours sur l’éloquence, dit. Grente, Jean Bertaut, p. 341. — De même on lit dans les Jugements des savants ce Baillet (éd. revue par La Monnoye, Amsterdam