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saires, que le poète résume sa vie dans l’Ode à Lagarde[1], et la même image revient élégamment dans des vers où se trouve aussi la tournure « fertile de peines », latinisme probablement dû à la fréquentation de Sénèque[2] :

On tient que ce plaisir est fertile de peines,
Et qu’un mauvais succès l’accompagne souvent ;
Mais n’est-ce pas la loi des fortunes humaines,
Qu’elles n’ont point de havre à l’abri de tout vent[3] ?


Sans doute c’est là l’image la plus banale qu’il y ait chez les poètes, et il serait peut-être moins long de compter ceux qui ne l’ont pas employée que ceux qui s’en servent. Mais dans le petit nombre d’images dont dispose Malherbe, elle occupe une place trop caractéristique pour ne pas rappeler le philosophe qui la développait si souvent. Il faut en dire autant des termes de médecine, « guérison », « santé », « embonpoint », employés au figuré : c’est encore une image de moraliste. Elle abonde dans Sénèque : l’épître 95, notamment ; com-

  1. I, 287. Cf. la même image en parlant de l’État (Malh., I, 70, v. 23, et p. 393 ; et Racan, l. c., p. LXXIV).
  2. Cette tournure, qui n’apparaît qu’une fois dans les vers de Malherbe, et une fois dans une de ses lettres (t. IV, p. 115), se trouve deux fois dans la traduction du Traité des Bienfaits (t. II, p. ). Malherbe a employé ailleurs : fertile en. Du Bellay disait encore : fertile de bons poètes (Def. et Illustr., chap. XI, éd. Person, p. 93).
  3. Malh., I, 801. Cf. aussi I, 21. v. 11 et 12.

    Montchrestien disait de même de la vie humaine :

    C’est une nef poussée
    De l’orage du monde et des flots du destin.

    (David, Tragédie, acte IV, chœur, éd. elzév., p. 226.)

    C’est donc probablement à Sénèque qu’il faudrait reporter le mérite que M. Paul Bourget fait aux Pères de l’Église, d’avoir comparé la vie à une traversée.