Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/119

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échappent plusieurs fois de suite. Aussi nous défions-nous justement de nous-mêmes, et ne regardons-nous comme des vérités acquises que celles qui ont été contrôlées, acceptées par un grand nombre de juges compétents, placés dans des circonstances diverses. À toutes les époques de la philosophie, les sceptiques se sont prévalus de cette règle du bon sens pour nier la possibilité de discerner le vrai du faux, tandis que d’autres philosophes en concluaient que nos connaissances, sans être jamais rigoureusement certaines, peuvent acquérir des probabilités de plus en plus voisines de la certitude, et tandis que d’autres encore regardaient l’assentiment unanime, ou presque unanime, comme l’unique et solide fondement de la certitude. Admettons que chacune des facultés auxquelles nous devons nos connaissances puisse être assimilée à un juge ou à un témoin faillible : une intelligence supérieure qui en comprendrait tous les ressorts, qui pénétrerait, par exemple, dans le mystérieux artifice de la mémoire, serait capable d’assigner la chance d’erreur attachée au jeu de chaque fonction, à l’emploi de chaque faculté, pour chaque individu et dans telles circonstances déterminées. Elle reconnaîtrait peut-être que, pour certains individus et dans certaines circonstances, l’erreur devient physiquement impossible ; car, enfin, rien ne nous autorise à affirmer absolument qu’il n’y a pas d’opération intellectuelle, si simple qu’elle soit, qui n’entraîne la possibilité d’une erreur. Une intelligence incapable de tirer de telles conclusions a priori, mais qui serait en possession d’un critère infaillible pour discerner les cas où l’une de nos facultés nous a trompés de ceux où elle nous a fidèlement renseignés, pourrait par cela même (38) déterminer expérimentalement les chances d’erreur inhérentes à l’exercice de cette faculté, si d’ailleurs elle pouvait effectuer des séries d’expériences assez nombreuses, et fixer convenablement les conditions de l’expérience.

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Lors même que l’intelligence dont nous parlons ne serait pas en possession d’un critère infaillible, l’observation pourrait la conduire à déterminer numériquement les chances d’erreur, inconnues a priori, pourvu qu’on admît que la chance de vérité surpasse la chance d’erreur ; ce qu’il faut bien accorder, si l’on accorde que, dans leur jeu régulier, les facultés