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fendre ta bourse contre l’invasion des barbares, juste assez de poils aux yeux, tu entends, Boubouroche, pour passer par un trou de souris le jour où ta maîtresse exige que tu y passes.

Boubouroche.

Adèle me fait passer par un trou de souris ?

Potasse.

Oui.

Boubouroche.

Qu’est-ce que tu en sais, d’abord ?

Potasse.

Je n’en sais rien, mais j’en suis sûr.

Boubouroche.

Tu parles sans savoir. Tais-toi. Que connaissant la nature d’Adèle et que naturellement avide de vivre sur le pied de paix, je fasse bon marché de ses petits travers et lui donne volontiers raison…

Potasse.

Quand elle a tort.

Boubouroche.

Ça, mon Dieu, je ne dis pas le contraire. Mais au fond, tu entends, Potasse, je ne fais que ce que je veux faire et ne crois que ce que je veux croire. Je suis têtu comme une mule, avec mes airs de gros mouton.

Potasse.

Bah !

Boubouroche.

Que connaissant l’existence et que naturellement avide de faire bon ménage avec elle, je lui fasse par-ci par-là…

Potasse.

Une petite concession.

Boubouroche.

Ça, mon Dieu ! c’est encore possible… Mais passer par des trous de souris ?… Sois tranquille, va, je sais ce que je fais. On n’a pas vécu huit ans avec une femme sans être fixé sur son compte.

Potasse.

Huit ans !

Boubouroche.

Oui, mon cher ; huit ans !

Potasse.

Quel collage !…

Boubouroche, lyrique.

Le dernier de ma vie.

Potasse.

Tu en as eu beaucoup ?

Boubouroche.

Je n’ai eu que celui-là.

Potasse.

Mazette, tu n’avais pas commencé en nourrice.

Boubouroche.

J’avais trente ans. (Ébahissement de Potasse.) Qu’est-ce qui te prend ?

Potasse, qui n’en revient pas.

Tu as tente-huit ans ?

Boubouroche.

Depuis un mois.

Potasse.

Tu en parais bien quarante-sept.

Boubouroche, très simplement.

Oh, du tout !… Je paraîtrais plutôt plus jeune que mon âge. — Je suis gros, c’est ce qui explique ton erreur ; mais, si j’ai du ventre, je n’ai pas de rides.

Large sourire satisfait.
Potasse, attendri, à mi-voix.

Bon garçon. — Et d’où vient, dis-moi, que tu aies attendu trente ans pour te donner le luxe d’une maîtresse ?

Boubouroche.

De bien des choses, mon ami. D’abord d’une grande timidité, que j’ai toujours portée en moi, et dont je n’ai jamais pu me défaire. Puis, je suis un peu… sentimental, en sorte que j’ai longtemps cherché, sans les trouver, une âme qui fût sœur de la mienne, un cœur qui sût comprendre le mien. (Rires de Potasse.) J’ai dit quelque chose de drôle ?

Potasse.

Ne t’inquiète pas, continue. Tu es à couvrir de baisers.

Boubouroche, bien qu’un peu étonné, continue.

Je rencontrai Adèle dans une maison amie, où elle venait, le dimanche soir, prendre le thé et faire la causette. Elle avait alors vingt-quatre ans et le charme indéfinissable qu’ont les blondes, très blondes, en deuil.

Potasse.

Elle était veuve ?

Boubouroche.

De six mois. Elle me plut, mais elle me plut !… Mille fois plus que je ne saurais dire !… Sa distinction surtout me charmait ; tu sais, cette allure d’honnête femme à laquelle un homme ne se trompe pas ?

Potasse, qui se fait du bon sang, mais se garde d’en laisser rien voir.

Oui ; tu as l’œil américain.

Boubouroche.

Et je songeais mélancolique : « Ne te frappe pas, Boubouroche ; ce fruit n’est pas pour ton assiette. » — Un soir, elle me pria de lui donner le bras et de la déposer à sa porte. Nous partîmes. Le silence des rues et le clair de lune qu’il faisait m’inspirèrent