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Boubouroche, à Adèle.

Qui est cet homme ?

Adèle.

Est-ce que je sais, moi !



Scène IV

BOUBOUROCHE, ADÈLE.
Boubouroche, étourdi au brusque révélé de tant de fausseté
et de perfidie.

Scélérate !… Tu vas mourir !

Il bondit sur elle ; de ses deux mains, il lui emprisonne le cou.

BOUBOUROCHE. — Tu vas mourir !
Adèle, terrifiée.

Ah !

Boubouroche l’a renversée sur la chaise longue, le meurtre va s’accomplir. Mais au moment de serrer les doigts, le pauvre homme manque de courage. Il se redresse, il prend ses tempes dans ses mains, finit par éclater en larmes, et, tombé aux genoux de sa maîtresse, il sanglote, la tête dans ses jupes.
Boubouroche.

Je ne peux pas, mon Dieu !… Je ne peux pas !… Mais quelles fibres me lient donc à toi, que toutes mes énergies d’homme ne puissent suffire à les briser ; que ma soif de vengeance désarme devant la peur de te faire du mal et que je ne trouve que des pleurs où je devrais ne trouver que des colères ?… Voyons, (Il lui prend les mains.) pourquoi as-tu fait ça ?… Je sais bien que je ne suis ni bien beau ni bien riche, mais j’avais tant fait, tant fait, pour faire oublier ces petits torts !… Tu étais dans mon cœur comme dans un nid !… J’étais dans tes petites mains un jouet ! Tu avais l’air d’être contente… Alors quoi ? Car je ne comprends plus. Pourquoi ? Parle ! Pourquoi ? Pourquoi ?

Adèle, qui s’est peu à peu rassurée et dont le visage n’exprime plus
à cette heure que le plus profond étonnement.

Ah ! çà ! c’est sérieux ?

Boubouroche.

Sérieux !

Adèle.

C’est qu’en vérité tu me fais peur ! Je me demande si tu deviens fou… Qu’est-ce qui te prend ? Qu’est-ce que je t’ai fait ?

Boubouroche.

Eh ! ne le savons-nous pas que trop ?… Tu m’as trompé !

Adèle, hochant de droite à gauche la tête.

Pas du tout.

Boubouroche.

Tu ne m’as pas trompé ?

Adèle, simplement.

Jamais.

Boubouroche.

Mais cet homme, misérable menteuse ! cet homme ?

Adèle.

Je ne puis te répondre.

Boubouroche.

Pourquoi donc ?

Adèle.

Parce que c’est un secret de famille et que je ne puis pas le révéler.

Boubouroche, suffoqué.

Çà, par exemple !…

Adèle, résignée.

Tu ne me crois pas, tu as raison. J’en ferais autant à ta place. — Adieu.

Boubouroche.

Où vas-tu ?

Adèle.

Nulle part. Il faut nous quitter ; voilà tout.

Boubouroche.

Tu n’espères cependant pas que sur la foi d’une simple assurance…

Adèle.

Je ne l’espère pas, en effet, — encore que je pourrais te trouver d’un scepticisme un peu outré à l’égard d’une femme qui a été huit ans la compagne de ton existence et ne croit pas avoir jamais rien fait qui puisse te donner le droit de suspecter sa parole. Ça ne fait rien ; les apparences sont contre moi et je ne saurais t’en vouloir de la faiblesse d’âme qui te