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BOULINGRIN.

Au contraire, vous dis-je. (Lui avançant une chaise.) Tenez !

MADAME BOULINGRIN, même jeu.

C’est cela. Prenez un siège.

DES RILLETTES.

Merci.

BOULINGRIN.

Non. Pas celui-ci ; celui-là !

DES RILLETTES.

Mille grâces.

MADAME BOULINGRIN.

Non. Pas Celui-là ; celui-ci.

BOULINGRIN.

Non.

MADAME BOULINGRIN.

Si.

BOULINGRIN.

Non.

MADAME BOULINGRIN.

Si.

BOULINGRIN.

Est-ce que ça va durer longtemps ? Vas-tu ficher la paix à M. des Rillettes ?

DES RILLETTES.

En vérité, je suis désolé.

MADAME BOULINGRIN.

Pourquoi donc ?

BOULINGRIN.

Il n’y a pas de quoi.

MADAME BOULINGRIN et BOULINGRIN, ensemble.

Asseyez-vous.

MADAME BOULINGRIN, qui a réussi à amener une chaise
sous les fesses de des Rillettes.

Là !

BOULINGRIN, qui se précipite.

Pas sur celle-là, je vous dis !

Il enlève, d’un tour de main, la chaise avancée par sa femme, en sorte que des Rillettes, qui allait justement s’y asseoir, tombe, le derrière sur le plancher.
MADAME BOULINGRIN, triomphante.

Tu vois ! (Pendant tout le couplet qui suit, madame Boulingrin, calme et exaspérante, s’obstine à répéter :) Imbécile ! Imbécile !

Tandis que :
BOULINGRIN, légitimement indigné.

Eh ! c’est de ta faute, aussi ! Pourquoi as-tu voulu le forcer à s’asseoir sur une chaise qui le répugnait ? Tu serais bien avancée, n’est-ce pas, s’il s’était cassé la figure ?… Imbécile ?… Imbécile toi-même ! Quel monstre de femme, mon Dieu ! Pourquoi faut-il que j’aie trouvé ça sur mon chemin ? (À des Rillettes.) Vous ne vous êtes pas blessé, j’espère ?

DES RILLETTES, qui Se frotte mélancoliquement le fond de culotte.

Oh ! si peu que ce n’est pas la peine d’en parler.

BOULINGRIN.

Vous m’en voyez ravi. Approchez-vous du feu.

DES RILLETTES, à part.

Je suis fâché d’être venu.

MADAME BOULINGRIN, empressée.

Prenez ce coussin sous vos pieds.

DES RILLETTES.

Merci beaucoup.

BOULINGRIN, que la civilité de sa femme commence à agacer,
et qui fourre un second coussin sous le premier.

Prenez également celui-ci.

DES RILLETTES.

Bien obligé.

MADAME BOULINGRIN, qui ne saurait sans déchoir accepter de son mari
une leçon de courtoisie.

Et celui-là.

Elle glisse un troisième coussin sous les deux autres.
DES RILLETTES.

En vérité…

BOULINGRIN, armé d’un quatrième coussin.

Cet autre encore.

DES RILLETTES.

Non.

MADAME BOULINGRIN.

Ce petit tabouret.

DES RILLETTES, les genoux à la hauteur de l’œil.

De grâce…

BOULINGRIN.

Eh ! laisse-nous tranquilles avec ton tabouret !

(Exaspéré, il envoie un coup de pied dans la pile de coussins échafaudée sous les semelles de des Rillettes. Les coussins s’écroulent, entraînant naturellement, dans leur chute, la chaise de des Rillettes, et des Rillettes avec.)

Tu assommes M. des Rillettes.

DES RILLETTES, les quatre fers en l’air.

Quelle idée !

MADAME BOULINGRIN.

C’est toi qui le rases.

BOULINGRIN, avec autorité.

Allons, tais-toi !

MADAME BOULINGRIN.

Je me tairai si je veux.

BOULINGRIN.

Si tu veux !

MADAME BOULINGRIN.

Oui, si je veux.

BOULINGRIN.

… de Dieu !

MADAME BOULINGRIN.

Et je ne veux pas, précisément.