Page:Courteline - Les Linottes, 1899.djvu/259

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J’étais furieux.

Je rentrai donc et je dis à Angèle :

— Ma chère enfant, voici ce qui se passe : M. Laurianne, qui avait la chance imméritée d’avoir pour maîtresse une belle et bonne fille, n’a rien trouvé de mieux à faire que de me pousser de force dans tes bras, en me demandant comme un service de le débarrasser de toi : voilà. Tu roules des yeux comme des meules, je comprends ça, mais en fin de compte tel est le fait. Je lui ai, comme tu n’es pas sans le savoir, rendu le service qu’il sollicitait de ma complaisance, et je suis devenu ton amant, pour son plus grand bien, pour le mien, et pour le tien également, je l’espère. Aujourd’hui, averti – par qui ? je n’en sais rien – d’un état de choses que je n’avais, d’ailleurs, pas pris le soin de lui dissimuler, M. Laurianne m’arrive comme un épileptique et me couvre de reproches et d’injures. Aux reproches, j’ai opposé autant d’objections dictées par la sagesse même, mais aux injures j’ai simplement répondu par une magistrale calotte. Le résultat de ce petit vaudeville tout intime, c’est que Laurianne, inévitablement, va te flanquer à la porte. Or, comme je ne vois aucune espèce de raison pour te faire payer de ton pain et de ton lit les faveurs dont tu as bien voulu me gratifier, tu vas rentrer purement et simplement chez toi, tu y feras un paquet de tes frusques, tu viendras me reprendre pour dîner et nous nous mettrons ensemble : ça durera ce que ça durera.

Elle se montra touchée de cette proposition, m’embrassa les larmes aux yeux et s’en alla.

Je l’attendis une heure, puis deux, puis trois : elle ne rentra ni dîner ni coucher.