Page:Courteline - Les Linottes, 1899.djvu/90

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dans le dossier de la banquette, il avançait son fin visage où s’agitaient, sur un chuchotement de pénitente à confesse, deux lèvres demandant l’aumône. Ce qu’il disait, elle seule le pouvait entendre, et elle l’entendait, il faut le croire, car elle l’en châtiait sans rudesse, de petites tapes qu’accueillait et renvoyait aussitôt, comme des volants, le « pff » goulu de la coupable bouche. Dans le silence du petit café, où le gaz enchifrené sifflait, elle prononça à voix basse : « Ce serait mal… Cette dame, voyons ! Songez donc !… » ; mais il se récria de la belle manière, protestant, non sans bonne foi, de la pureté de ses intentions, disant seulement combien de soulagement il goûterait à reposer sur une épaule amie son front, hélas, martelé !… à sentir, dans l’indéfini d’un demi et mauvais sommeil, la pression douce et consolante d’une main refermée sur la sienne… Touchant appel à la pitié !… La noble fille n’avait qu’à se rendre. Elle se rendit sans un mot, d’un sourire qui parla pour elle, amusée, certes !… troublée aussi, au point de n’oser regarder en face, à travers la glace azurée des iris qui la fixaient, l’âme perverse et sentimentale de l’éternel Chérubin.

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Cozal disait volontiers :

— Le clair de lune va aux grands arbres comme le bleu va aux blondes et le vermillon aux brunes.

Cette nuit-là, il fit un clair de lune superbe, qui baigna d’argent et de silence les grands arbres peuplés d’oiseaux de la Villa Bon-Abri ; mais Cozal n’y retrempa point son âme sensible de poète : ceci par la raison qu’il coucha rue Saint-Jacques, aux côtés de la blonde Victoria, sous les lambris d’une mansarde haut perchée que décoraient des photographies