Page:Courteline - Un client sérieux, 1912.djvu/110

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Récapitulation des étrennes que j’ai reçues. (Il tourne la page.) Total : zéro. A la bonne heure, c’est vite compté, et ça dispense de faire la preuve par neuf. (Il reporte le grand livre à la place qu’il occupait dans le casier et revient, chargé de l’autre in-folio. — Recommencé du jeu de scène ci-dessus.) Récapitulation des étrennes données ! (Il tourne une page, puis une autre, puis une troisième, puis une autre encore. — Les pages sont noires d’écritures.) Ça, c’est une autre histoire.

(Il lit.)

A ma femme… des boucles d’oreilles ;

A ma belle-mère… un chauffe-assiettes ;

A mon petit garçon… un tambour ;

Au concierge… vingt francs.

(Parlé.) Vingt francs ! En voilà de l’argent que je regrette. Ponchon a rudement raison. Comme il dit, je ne sais plus dans quoi :

Encore un an qui s’amène,

Un autre qui s’tir’ des pieds.

Moi qui ne r’çois pas d’étrennes,

Faut qu’j'en foute à mon portier.

(Haussement d’épaules mélancolique.)

Où en étais-je ?

(Il se replonge dans ses calculs.)

A mon cousin Lenflé… une pipe ;

A ma cousine Lenflé… une cuiller à soupe ;

Au petit Lenflé… une trompette.

(Parlé.)

Ces Lenflé me mettent sur la paille ! Heureusement, la trompette de leur gosse fait encore plus de boucan que le tambour du mien. Les parents auront de l’agrément, c’est toujours ça de rattrapé.

(Il poursuit.)

A mon beau-frère… mon portrait.

(Satisfait de lui.)

Très bien !

(Il tourne la page.)

A ma tante Louise… un abat-jour ;

A ces mufles de Dubourg… un pétunia en pot ;

Au petit garçon des Durand… un abonnement à la Jaunisse.

(Surpris.)

Un abonnement à la Jaunisse ?

(Il se penche sur la feuille, s’efforce de déchiffrer une écriture illisible. Enfin :)

Ah ! non !… à la "Jeunesse ! ", au journal "la Jeunesse".

(Il reprend :)

Au petit garçon des Durand… un abonnement à "la Jeunesse" ;

A mon filleul… ma vieille montre.

A mon garçon de bureau… ma vieille redingote.

A mon oncle Albert… mon portrait.

(Parlé.)

Très bien !

A la bonne des Lenflé…

(Parlé.)

Encore ! Ça devient de l’extravagance ! Ce n’est pas une trompette que j’aurais dû donner au petit ; c’est un canon.

A la bonne des Lenflé… cent sous ;

A Mme de Pont-à-Mousson… une livre de fruits confits ;

A Mme de Saint-Jean-Pied-de-Port… une livre de crottes de chocolat ;

A la veuve Plumeau… une botte de mouron ;

(Se reprenant :)

"Une boîte de marrons", pardon. Jolie écriture !…

(Il poursuit :)

A la veuve Plumeau… une boîte de marrons ;

A mon oncle Edouard… mon portrait.

(Parlé.)

Très bien.

A ma bonne… dix francs ;

A la porteuse de pain… un franc ;

Au facteur des postes… quarante sous ;

Au petit télégraphiste… vingt sous ;

Aux vidangeurs… cinquante centimes.

(Parlé.)

Si j’avais su, je leur aurais donné mon portrait, aux vidangeurs. Les bonnes idées viennent toujours trop tard. (Il sonne.) Que je fasse mettre une bûche au feu ; je gèle sur place, moi… Voyons, est-ce bien tout ? (Longue rêverie.) C’est bien tout. C’est plus que suffisant, d’ailleurs. L’année a été si brillante !… (Nouveau coup de timbre.) Plus de vingt mille balles que j’ai perdues dans l’affaire des mines du Transvaal par la faute de cette saleté de coulissier !… Que je le rechoppe, le coulissier ! non, mais, que je le repince, pour voir. Je lui paierai un petit rigolo de dividende qui ne lui coûtera pas cher d’impôt. Farceur, va !… Ah çà, mais je sonne dans le désert ! Je suis le gentilhomme le