Page:Courteline - Un client sérieux, 1912.djvu/113

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? Je n’ai pas pris de voiture. Vous devez vous tromper d’étage.


Le cocher.

Homme qui survenez et m’écoutez ici,

J’entre…

(Il entre.)

Je vous salue,

(Il salue.)

Et je vous dis ceci :

Recevez tous mes vœux pour la nouvelle année

Et touchez là ; voilà ma main parcheminée.

Ahurissement de Landhouille qui garde sa main dans sa poche.


Le cocher.

Eh quoi ! vous dérober à mon embrassement ?

Cet excès de froideur me peine énormément.


A lentes et larges enjambées il marche sur Landhouille, lequel recule d’autant. Ils arrivent ainsi au trou du souffleur. Là :


Landhouille, qui commence à être très inquiet, à part. — Je ne donnerais pas cinq sous de ma peau.


Le cocher, avec éclat.

Rappelez-vous !


Landhouille rassemble ses souvenirs et ne se rappelle rien du tout.


Le cocher.

Je suis Luc !


Landhouille exprime par sa mimique que cette révélation le laisse froid.


Le cocher.

… cocher de "l’Urbaine" !!!


Mutisme prolongé de Landhouille qui se rappelle de moins en moins.


Le cocher.

C’est moi qui, l’autre jour, eus cette bonne aubaine

De vous catastropher dans une flaque d’eau,

En doublant le tournant du Cirque Fernando.

Je fendais l’air. D’une allure non moins pressée,

Vous allâtes baiser le sol de la chaussée,

Lequel, dès lors, porta de gueule sur fond blanc.

Quand on vous releva, vous étiez ruisselant

Comme une éponge et maculé comme un grimoire…

Combien ce temps encore est cher à ma mémoire !


Landhouille. — Vous pensez à moi, c’est gentil. — Et alors !


A ces mots :


Le cocher, de qui le visage s’empourpre.

Alors !… Alors, dis-tu !

(Eclatant :)

Donc, tu n’as pas saisi ?

Et je n’ai pas assez mis les points sur les i ?

Tu ne vois pas que je viens chercher mes étrennes ?

(Formidable :)

Faut-il te le hurler, pour que tu le comprennes ?

Outil ! Fourneau ! Paquet ! Tête à poux !… Marié !…

Echantillon pourri d’un siècle carié !

Monstre à l’âme de boue, et de fange, et de lie,

Qui n’échappa que par miracle — et qui l’oublie ! —

Aux sabots meurtriers

(Emu jusqu’aux larmes)

de mes propres chevaux !


Landhouille. — Ecoutez, je ne veux pas de scandale…


Le cocher.

Zut !


Landhouille. — Je suis un homme rangé, paisible.


Le cocher.

Tais-toi !


Landhouille. — Je jouis de la considération du voisinage, et…


Le cocher.

Je te tiens pour le dernier des veaux !


Landhouille. — Mais ne criez donc pas comme ça, encore une fois !… Voyons, voulez-vous vingt sous ?


Le cocher.

Voyez le cancre, avec sa gueule peinte en jaune.

Ai-je l’air d’un monsieur qui demande l’aumône ?

Vingt sous !… Vingt sous !…

(Il prend la pièce de monnaie.)

Je les prends pour t’humilier.

Passe un jour, à proximité de mon soulier…

Je me comprends. Adieu, que le diable t’emporte !

(En sortant :)

Je crache mon mépris sur le seuil de ta porte.