Page:Courteline - Un client sérieux, 1912.djvu/128

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
122
Une Lettre chargée

quittance de loyer, en un mot, d’aucune sorte de papier authentique répondant de l’identité du signataire ?

L’employé. — Non.

La Brige. — C’est tout ce que je voulais savoir, vous trouverez donc bon, monsieur, que je donne la somme de vingt sous au concierge de mon ministère afin qu’il réponde : « C’est moi » quand le facteur, ma lettre à la main, viendra lui demander : « M. La Brige ? »

L’employé. — Je n’y vois pas d’inconvénient.

La Brige. — Vous voudrez bien tenir pour excellente la griffe : « Jean Philippe La Brige » qu’apposera sur registre officiel ce personnage appelé Pépin ?

L’employé. — Pourquoi pas ?

La Brige. — Ce sera un faux.

L’employé. — Qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse ?

La Brige. — Rien du tout. Nous voici d’accord et vous m’en voyez plein de joie. Monsieur, à l’honneur de vous revoir ! Mes amitiés à votre sœur.

L’employé. — Serviteur de tout mon cœur ! Quant aux cent sous, ça ne presse pas.

La Brige. — Où avais-je la tête ? (Tirant les cinq francs de sa poche.) Les voici.

L’employé. — Merci mille fois.

La Brige, retirant sa main. — Pardon !

L’employé. — Quoi ?

La Brige. — Un instant… Vous êtes bien monsieur Ratbouilli ?

L’employé. — Ratcuit.

La Brige. — Ratcuit, je veux dire.

L’employé. — Parbleu !

La Brige. — Bon !… Vous pouvez me l’établir ?

L’employé. — Établir quoi ?

La Brige. — Que vous êtes bien cette personne.

L’employé. — Moi ?

La Brige. — Vous avez des parchemins ?

L’employé. — Monsieur…

La Brige. — Des lettres de noblesse ?

L’employé. — Ah ça…

La Brige. — Vous êtes au Gotha, j’imagine ?

L’employé. — Mais…

La Brige. — À l’annuaire des châteaux ?

L’employé. — Non !

La Brige. — Non ? Eh bien, mon cher monsieur, allez vous y faire inscrire.

Il remet son argent dans sa poche.

L’employé. — Dites donc, vous vous fichez de moi.

La Brige. — J’en suis tout à fait incapable. Seulement, vous savez le proverbe : les bons comptes font les bons amis. J’ai emprunté cent sous à un homme du monde ; je n’ai aucune espèce de raison pour les rendre à un rond-de-cuir. — Au revoir, monsieur Ratbouilli.

L’employé, exaspéré. — Ratcuit !

Rideau