Page:Couturat - Le principes des mathématiques, La Philosophie des mathématiques de Kant (1905) reprint 1980.djvu/283

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priori de grandeur. Seulement, on peut en dire autant du nombre, car il résulte de la discussion précédente que, si le nombre trouve dans l’espace et dans le temps des schèmes appropriés, il est en lui-même un concept distinct et indépendant des deux formes d’intuition, par cela seul qu’il peut indifféremment être « construit » dans l’une et dans l’autre. Concluons donc que les sciences du nombre et de la grandeur sont des sciences rationnelles pures, indépendantes de l’intuition.

Kant lui-même a parfois considéré le nombre comme un concept intellectuel, non seulement dans sa Dissertatio de 1770, que l’on pourrait récuser, mais dans la Critique de la Raison pure. Il dit en effet ceci : « La synthèse pure, représentée d’une manière générale, donne le concept intellectuel pur. Mais j’entends par cette synthèse celle qui repose sur un principe d’unité synthétique a priori : ainsi notre numération (cela se remarque surtout dans les nombres élevés) est une synthèse d’après des concepts, parce qu’elle a lieu suivant un principe d’unité commun (par ex. le système décimal) » (A. 78, B. 104). Ce passage semble bien impliquer que le nombre, produit d’une synthèse pure, est un concept intellectuel pur, ce qui parait contredire la théorie du schématisme. On pourrait expliquer ce fait en disant que, lorsqu’il écrivait ces lignes, Kant n’avait pas encore élaboré la théorie du schématisme. Cependant, dans ce même passage, il parle du rôle de l’imagination, et lui attribue même toutes les synthèses en général (B. 103). Il est d’autant plus remarquable que dans ce passage il considère le nombre comme le produit d’une synthèse intellectuelle, et non d’une synthèse imaginative, et qu’il n’y soit aucunement question de l’intuition (du temps) qui, selon le schématisme, sert de base ou de matière à cette synthèse.